Écoles hassidiques

La survie d’une culture se joue-t-elle sur les bancs d’école?

« Nos écoles religieuses, c’est une source de fierté. Et plus encore, c’est une question de survie ! Pour préserver notre culture, il faut s’immerger dans cette culture, sans quoi on va être assimilés. Les Québécois, plus que n’importe quel autre peuple, devraient comprendre ce besoin… »

Sur la terrasse arrière d’une résidence de la rue Champagneur à Montréal, Abraham Ekstein y va de nombreuses comparaisons entre les Québécois, qui se sont dotés de lois pour préserver leur langue et leur culture distincte en Amérique du Nord, et les juifs hassidiques, qui veulent préserver leurs valeurs et leur culture millénaire au sein de la communauté québécoise.

Écoutez la vidéo : Jessica Nadeau décrit comment s'est passé son reportage.

« La seule façon de le faire, c’est à travers l’éducation. C’est en ayant la même éducation que nos ancêtres nous ont donnée et qui leur avait été transmise par leurs propres aïeuls. C’est ainsi depuis plus de 3000 ans. Et c’est ainsi que nous entendons survivre. »

Autour de la table, quelques amis opinent, renchérissent, tout en jouant sur leurs téléphones intelligents. L’hôte, Max Lieberman, arrive avec les steaks, grillés à point sur le BBQ. Bella, sa femme, sert les salades pendant que les enfants jouent dans la cour du voisin. « Les gens sont toujours surpris de voir qu’on fait du BBQ », lance-t-il avec un grand sourire. La conversation — en anglais — fait un détour par le burkini, les élections américaines et le référendum de la rue Bernard, mais revient inévitablement au sujet du jour : l’éducation.

Problème de perceptions

Le sujet des écoles juives a fait couler beaucoup d’encre tout l’été, notamment en raison de l’opération du Directeur de la protection de la jeunesse (DPJ) dans l’école des Vizhnitz sur la rue Beaubien en juin dernier. Comme l’école n’avait pas de permis, les parents se sont engagés à faire l’école à la maison, un compromis choisi par de plus en plus de parents dans la communauté hassidique afin de se conformer à l’obligation de donner à leur enfant une éducation reconnue par Québec tout en maintenant une éducation religieuse dans les écoles hassidiques.

« Certains affirment que c’est encore une façon qu’on a trouvée pour se soustraire à la loi et échapper aux règles qui valent pour tous, mais nous pensons que c’est exactement le contraire, se défend Abraham Ekstein. C’est notre façon de nous conformer à l’esprit de la loi, qui a été élaborée justement pour permettre un peu de flexibilité pour les communautés religieuses. »

Ce n’est pas d’hier que les écoles juives ont mauvaise presse. Elles sont pointées du doigt, critiquées, souvent qualifiées d’illégales et de clandestines. Elles sont considérées comme une « patate chaude » par pratiquement tous les ministres de l’Éducation qui se succèdent à Québec. « Beaucoup de gens s’acharnent sur ces écoles parce que c’est une représentation du Québec diversifié où la religion est présente, affirme le spécialiste de l’Université d’Ottawa Pierre Anctil, en entrevue au Devoir. Ça heurte, ça irrite certaines personnes. Beaucoup de gens parlent du “problème des écoles juives” sans savoir ce qui se passe dans ces écoles, sur la foi de leurs perceptions. »

Plus que des prières

Depuis des années, les filles de l’académie Beth Esther reçoivent un enseignement religieux le matin et séculier l’après-midi. Depuis septembre, elles ont l’école à la maison. Elles ne recevront donc plus de cours réguliers à l'école.

Dans la communauté hassidique, on est conscient de ce problème de perception et on tente de déboulonner certains mythes. « Les gens pensent que l’enseignement religieux, ça veut dire qu’on passe nos journées à prier et à apprendre des textes religieux, mais c’est beaucoup plus que ça », s’enflamme Max Lieberman. Il parle du Talmud, un livre en vingt volumes qui édicte les règles de vie des juifs hassidiques.

« À travers les études talmudiques, on apprend les fondements de la loi, la logique, les mathématiques, l’histoire et la géographie. On apprend tout cela, mais à travers les textes religieux plutôt que par des segments modulaires, comme c’est le cas dans le programme québécois. »

Abraham Ekstein donne l’exemple de la Soukkot, une petite installation temporaire que l’on installe sous les étoiles pour une fête religieuse célébrée au début octobre. Ainsi, pour construire cette installation selon les mesures précises dictées par le Talmud, les enfants doivent apprendre à calculer une aire et divers autres concepts mathématiques. Le même principe s’applique pour les sciences naturelles, illustre M. Ekstein. « Lorsqu’un enfant apprend qu’il ne peut pas planter un arbre le jour du sabbat, on lui montre, du coup, à planter un arbre. »

Dans la majorité des écoles, on enseignait également, jusqu’à tout récemment, un certain nombre d’heures de cours séculiers, variables selon les établissements, pour accomplir la formation des enfants.

Suffisamment d’outils?

« La capacité de raisonner, c’est sans doute l’outil le plus important que l’on reçoit des études talmudiques, explique Jacob Maman, directeur de la Yeshiva Toras Moshe, une école religieuse pour garçons. De façon générale, après une éducation religieuse dans une yeshiva, un enfant a tous les outils nécessaires — il a ensuite besoin de quelques outils complémentaires sur le plan du langage, par exemple, pour être fonctionnel —, mais il a la très grande majorité des outils dont il a besoin pour fonctionner dans la société. »

Faux, répond Yochonon Lowen, un juif hassidique qui a quitté la communauté Tash de Boisbriand en 2010. Avec sa femme, il poursuit le gouvernement du Québec pour avoir failli à sa tâche de lui procurer l’éducation que tout enfant au Québec est en droit de recevoir.

« Dans ces écoles, où la langue d’instruction était le yiddish, le cadre législatif québécois était totalement ignoré, peut-on lire dans la poursuite. Les demandeurs n’ont jamais reçu un cours d’histoire, de géographie, de science, d’arts ou d’éducation physique. Dans le cas du demandeur, il n’a jamais même eu un cours de français. Les demandeurs ont terminé leur éducation secondaire en ignorant ce qu’était le fleuve Saint-Laurent ou la théorie de l’évolution […] Le fait d’avoir été maintenus si longtemps ignorants du monde qui les entoure a sérieusement compromis leur développement social et affectif. »

Exception à la règle?

 

Dans la communauté hassidique, on réfute ces allégations, que l’on associe à un cas isolé. « De dire qu’un enfant n’est pas en mesure d’obtenir du succès, c’est une réalité que l’on retrouve partout. Prenez la meilleure école publique ou privée du Québec, vous aurez toujours un individu qui ne réussira pas à avoir du succès pour une raison ou une autre. Je dirais que c’est l’exception à la règle, sans plus », répond Jacob Maman.

« Je ne veux pas répondre à chacune de ses allégations, mais nous pouvons vous donner des preuves, ajoute Max Lieberman. Nous sommes des citoyens productifs, nous n’avons pas recours à l’assistance sociale. Nous travaillons, nous avons de bons enfants. Si l’on prend chacun de ces faits, c’est la preuve que ce qu’il dit est faux. »

Ce dernier reconnaît que « plusieurs personnes » quittent la communauté, ce qui nécessite toujours un « ajustement », que certains vivent mieux que d’autres. Il donne l’exemple de son beau-frère, qui vit désormais à Côte-Saint-Luc. « II pense que je suis un idiot d’être ce que je suis, il adore la vie séculière. Mais nous sommes bons amis. »