Théâtre - Idole canadienne
Le sentiment religieux qui anime tant d'êtres humains demeure un mystère. Il en va de même du succès de prophètes, tel Jésus, dont l'enseignement mène à la création d'une religion. Le théâtre a beau s'être souvent emparé de figures charismatiques, peu de spectacles ont, comme Bigger than Jesus, cherché à comprendre sur quoi se fonde l'engouement des hommes et des femmes pour un dieu. Le mieux était d'en prendre un, le Christ, et de faire des recherches à son sujet: ce qu'ont fait, avec fantaisie et rigueur, le metteur en scène torontois Daniel Brooks et l'interprète d'origine montréalaise Rick Miller, afin de saisir comment se construit une idole.
Bigger than Jesus se ressent d'ailleurs de toute cette recherche. Celle-ci transparaît en particulier au début du solo. Prenant vaguement la forme d'une messe, celui-ci met bout à bout des épisodes disparates. Le christianisme s'y voit décortiqué par un Rick Miller à la fois conférencier, preacher, marionnettiste et chanteur. Il se drape aussi quelques minutes dans le rôle même du Christ. Le comédien paraît aussi particulièrement à l'aise avec une gamme de technologies inventives l'aidant à transmettre son message. Car tout autant qu'il révèle les diverses facettes du christianisme et de Jésus, le spectacle met en valeur les talents variés de l'idole canadienne, autour de laquelle il s'articule et s'appuie sur un éventail stimulant de techniques médiatiques, simples mais efficaces.D'ailleurs, en tant qu'interprète, Rick Miller a de quoi épater. Il n'est peut-être pas meilleur que Jésus, mais il a plusieurs cordes à son arc. D'abord, il est beau garçon, il bouge bien, il se sert de sa voix tel un imitateur, il chante très honorablement, il a une énergie du tonnerre et il sait interagir avec le public. Au reste, il ne s'en prive pas. Ce qui compense grandement pour le côté échevelé d'une réflexion — car c'en est une — qui laisse un peu sur sa faim.
Non que Miller ne donne beaucoup à boire et à manger, mais étant donné l'ampleur du sujet, pour ne pas mentionner le sérieux, on a l'impression que les deux collaborateurs n'ont pas voulu trancher relativement à un phénomène qui les dépasse. Notons que c'est peut-être la solution la plus prudente lorsqu'on aborde une figure aussi controversée.
De plus, Bigger than Jesus ne figure pas au nombre des spectacles où on s'esclaffe toutes les deux secondes. On y sourit davantage qu'on n'y rie aux éclats. Pourtant, certains épisodes sont très réussis. En fait, c'est lorsque Miller superpose les idoles en comparant les évangélistes aux Beatles et en faisant apparaître les disciples de Jésus sous les traits d'icônes populaires venues de tous les horizons qu'il emporte davantage l'adhésion. L'autre qualité de l'aventure, c'est de se vouloir aussi intellectuelle que fantaisiste. D'où peut-être le sentiment de déséquilibre qu'a suscité en moi cette forme hybride qui tient du stand-up comique, des sketchs à l'américaine, du théâtre d'avant-garde, axé sur le multimédia, et de l'émission de vulgarisation scientifique. Du même coup, ce spectacle ratisse vraiment large. Cela va de l'amateur, qui cherche avant tout à voir évoluer un interprète de première force, au spectateur qui aime bien les gadgets technologiques au théâtre, en passant par celui ou celle que le religieux fascine ou inquiète. Un petit miracle, si vous voulez.
Collaborateur du Devoir