«William Shakespeare’s As You Like It»: comme il lui plaira

Diplômé en écriture dramatique de la section anglophone de l’École nationale de théâtre en 2015, Cliff Cardinal n’avait pas tardé à imposer sa voix. L’année suivante, alors que l’auteur et interprète présentait son saisissant solo Huff à Montréal, le critique du Devoir soulignait le choc provoqué par l’oeuvre de ce « conteur féroce ». Ce réputé créateur de la scène canadienne est de passage au Festival TransAmériques avec son William Shakespeare’s As You Like It, A Radical Retelling by Cliff Cardinal. Un audacieux spectacle qui a beaucoup fait jaser lors de sa création à Toronto, à l’automne 2021.
Installé dans la Ville Reine, cet artiste Oglala Lakota est originaire de la communauté de Pine Ridge, au Dakota. Il se qualifie d’outsider. « La chose qui semble la plus universelle dans ma perspective d’Autochtone — mais il n’y en a pas deux pareils —, c’est que je vis dans un pays qui a essayé de me tuer, de tuer les Autochtones. Et nous sommes toujours ici, et nous leur rions toujours au nez. [Cette identité] m’apporte donc un point de vue extérieur. Comme si je voyais toujours les choses un peu avec un regard neuf. »
Sa nouvelle création émane, dit-il, d’une idée de Chris Abraham, le directeur artistique du Crow’s Theatre : revisiter Comme il vous plaira, pièce de Shakespeare dans laquelle des citadins quittent la ville pour aller dans la forêt d’Arden, un espace de liberté. « C’est une gentille comédie pastorale pleine de délicieux humour corporel et de sexualité. Et je pensais que c’était un très bon moyen d’examiner la relation avec les populations autochtones » au Canada.
Humour, secret et subversion
Il est aussi question dans la prémisse du texte original d’un territoire (un duché) usurpé… « Je n’ai pas lu la pièce elle-même depuis un bout de temps, depuis que je l’ai adaptée, rétorque Cardinal. Mais je peux vous dire ceci : ma version est bien meilleure que celle de Shakespeare ! » La remarque traduit le ton ironique qui imprégnera souvent notre entretien téléphonique. Comme si le créateur, réputé pour cultiver l’humour noir dans ses spectacles, se jouait un peu de l’exercice de l’interview.
Il n’y a qu’à regarder l’humoristique teaser vidéo mis en ligne sur le site du festival, où Cliff Cardinal annonçait la distribution de sa pièce : un groupe éclectique comprenant Jean Leloup, Ken Dryden et même Jean Charest… Toutes ces personnes ont annulé leur participation depuis, m’informe-t-il. « Alors ça va être une toute nouvelle distribution inattendue, qui va être annoncée le soir de la représentation. On ne sait pas encore qui ils sont. » Lui-même, affirme-t-il, ne joue qu’un petit rôle dans le spectacle. Pourquoi ce secret entourant les interprètes ? « Je pense que c’est plus cool si les spectateurs se présentent et qu’ils sont surpris. Et ça va prendre son sens dans le récit. »
Manifestement, le créateur préfère ne pas révéler en quoi consiste vraiment son spectacle (déjà présenté au Carrefour international de théâtre, à Québec, l’an dernier). Disons que, sans trahir le punch, il apparaît qu’avec ses protagonistes déguisés sous de fausses identités, la pièce du Grand Will convient bien au subversif concept déployé ici par Cliff Cardinal.
Est-ce que William Shakespeare’s As You Like It, A Radical Retelling by Cliff Cardinal — qui sera repris durant la saison de La Licorne fin septembre — traite des questions du territoire et de la colonisation ? « Non, non, non, assure son auteur. C’est Comme il vous plaira, c’est le fun. On va chanter quelques chansons et raconter des histoires amusantes. »
Lorsqu’on lui a demandé s’il a signé là un spectacle politique, le créateur répond que « chaque oeuvre artistique est politique, parce que vous avez une certaine perspective, une façon de voir la vérité ». Mais que sa pièce n’est pas un travail politique. Le théâtre ne résiste pas à la propagande, explique-t-il. « Aussitôt qu’un dramaturge se pointe en pensant qu’il a les réponses à quelque chose, le public commence à s’endormir. »
Mais Cliff Cardinal dirait-il qu’il peut être provocateur ? « Absolument. » L’artiste estime qu’un spectacle de théâtre ne devrait pas répondre aux normes toutes faites du public. « On peut être touché par un show et on peut y rencontrer unperformeur ou une idée qui ne cadre pas exactement avec la façon dont on comprend le monde. Les choses peuvent alors bouger à l’intérieur de soi. Et je pense que c’est formidable. »