«The Making of Pinocchio»: une histoire sans fin

Ce n’est pas d’hier que les contes de fées, tout comme les mythes, les légendes et les fables, offrent aux êtres humains la possibilité de s’expliquer à eux-mêmes. Avec ses archétypes et ses paradoxes, sa propension pour le merveilleux et son penchant pour l’invraisemblable, le conte permet bien souvent de voir plus clair dans le présent, de regarder la réalité en face ou encore d’éclairer une identité en constante redéfinition. Ce prisme inépuisable, c’est celui que Rosana Cade et Ivor MacAskill, un couple à la ville comme à la scène, ont choisi d’adopter pour donner naissance à The Making of Pinocchio, un spectacle multidisciplinaire créé à Hambourg l’année dernière et offert en ce moment au Conservatoire par le Festival TransAmériques.
Tout comme le Montréalais Michael Martini, qui présente What if Hansel Consented to Being Baked Alive ? ces jours-ci au OFFTA, le tandem originaire de Glasgow, en Écosse, se sert du conte pour aborder des enjeux queers. Entre Pinocchio, le pantin qui rêve d’être un « vrai garçon », et Ivor, qui a amorcé en 2018 une transition de genre, les correspondances sont riches et nombreuses. Pour incarner les questions théoriques, concernant le genre et la transidentité, mais aussi les aspects pratiques, autrement dit les impacts de ce cheminement sur leur vie amoureuse et leur démarche artistique, Cade et MacAskill s’appuient sur les multiples possibilités qu’offre la vidéo, en direct aussi bien qu’en différé. Le duo donne ainsi naissance à une poésie souveraine, un univers enfantin, mais pas naïf, souvent humoristique, mais jamais niais.
Comme l’indique clairement son titre, la pièce de 90 minutes est un spectacle-chantier, le compte rendu de nombreuses explorations. Pour qualifier cette représentation hors norme, on pourrait également parler d’un faux laboratoire, d’un témoignage poético-ludique, d’un cabaret queer vu des coulisses ou encore d’une performance en chair et en bois. Différentes avenues sont empruntées sous nos yeux. Certaines sont fertiles, d’autres moins. Certaines laissent des impressions fortes, d’autres s’éternisent en vain. Employant nombre d’objets, souvent phalliques, mais aussi des rideaux et des castelets, le duo (accompagné sur scène de deux complices accessoiristes) se joue très habilement des perspectives.
Multipliant les décalages entre l’image produite sur le plateau et le résultat apparaissant sur l’écran qui le surplombe, tirant profit de maints procédés d’illusions cinématographiques, Cade et MacAskill déploient un vocabulaire aussi riche que singulier. Après avoir évoqué la plupart des protagonistes du conte de Collodi, de Geppetto à la fée bleue en passant par le criquet, les ânes et la baleine, les deux artistes prennent conscience que le jeu de rôles est infini, que les mutations sont sans fin, autrement dit que rien ne les empêche d’être ce qu’iels veulent, de se redéfinir à leur guise, de se réinventer sans cesse.