«Fille de laitier»: run de lait

Arleen Thibault, autrice et interprète de « Fille de laitier »
Photo: Francis Vachon Le Devoir Arleen Thibault, autrice et interprète de « Fille de laitier »

Ils livraient, beau temps mauvais, à cheval, en train ou en camion, la divine bouteille qui atterrissait sur les perrons, pleine de lait frais, prêt à être versé dans le café ou les céréales.

Conteuse, Arleen Thibault est la fille du laitier. Et si l’on en croit les fantaisies du folklore, elle partagerait de l’ADN avec bien des spectateurs de soirées de conte. Ce mythe des laitiers, casanovas de l’aube, qui tenaient compagnie aux épouses délaissées, a donné naissance à son dernier spectacle, Fille de laitier, qui prend l’affiche à la salle Claude-Léveillé de la Place des Arts. Retour sur un métier en voie de disparition.

Le lait, chez elle, c’était une affaire de famille. Son père, son arrière-grand-père et son oncle étaient laitiers. Petite, elle se souvient d’avoir accompagné son père dans sa « run de lait » et d’avoir ainsi goûté au grand privilège de pouvoir entrer dans les maisons.

« Quand je pouvais, je l’aidais pour ses runs de lait. Ça lui faisait de la compagnie. Je faisais une couple de rues avec lui, raconte-t-elle. Pour moi, c’était comme passer l’Halloween, les gens me donnaient des bonbons. Le fait d’entrer chez les gens, ça a aiguisé ma curiosité, mon sens du communautaire. Quand tu es enfant, à part ta famille, tu n’as pas beaucoup d’occasions de voir comme les gens vivent. Il y avait des quartiers aisés, des logements où vivaient des personnes handicapées, à travers ça, il faisait mon éducation. »

Le rapport aux gens

Ce rapport aux gens, vivant dans des situations diverses, a nourri son imaginaire créatif.

« J’ai appris à approcher la clientèle, les gens, comme des personnages. À la maison, on faisait des blagues. Ça m’a vraiment nourrie. Dans ma famille, on est un peu fous, on se fait des caricatures. Mon père est un joueur de tours », dit-elle.

Ce rapport à la vie communautaire en milieu urbain a aussi été à l’origine de son précédent spectacle, Le vœu, qu’elle a promené, avec beaucoup de succès, sur l’ancien et le nouveau continent. « C’était l’histoire de locataires d’un bloc appartements qui devaient faire un seul vœu », dit-elle.

Bien que forcément inspiré par son expérience familiale, le spectacle Fille de laitier mise sur des personnages inventés. D’abord, il y a celui du laitier, Lucien, qui rencontre « le camion de sa vie », et dont on suit les aventures. Puis, il y aura une cliente qui s’ennuie, bien sûr, et un mari jaloux. Tout ce qu’il faut pour dérouler un vaudeville. « Je brode autour des thèmes et je m’amuse beaucoup », dit-elle.

Univers rétro

À travers cette histoire, elle fréquente l’univers rétro des années 1950 et des bars laitiers. « Mes personnages sont beaucoup là-dedans. » Elle a d’ailleurs collecté des histoires de laitiers auprès de gens de différentes générations.

Son père, quant à lui, se levait chaque jour à trois heures du matin, pour passer à 5 h 30 chez ses premiers clients. « Il faisait des journées de 10 ou 12 heures par jour, été comme hiver. Il fallait être physiquement fort. Il ne prenait jamais de vacances, sauf les fins de semaine », se souvient-elle. C’est cette fidélité, cet engagement, qu’elle veut aussi mettre en avant.

« Je décline le métier de laitier pour montrer comment on peut rester fidèle à ses engagements. Comment le rapport au travail a changé. Le rapport aux objets aussi. Avant, quand on s’achetait un frigo, c’était pour la vie. Les objets ne faisaient pas partie d’une obsolescence programmée. C’est un rapport à quelque chose de très engageant, qui est devenu jetable. Je montre comment le personnage s’adapte à tout ça », dit-elle.

Son père a quitté le métier à la fin de la cinquantaine. Il avait dû, comme les autres laitiers, devenir travailleur autonome. Les factures de camion et d’essence rendaient difficile l’exercice de la profession. Il fallait faire face à la concurrence des dépanneurs. Entre-temps, d’ailleurs, les femmes au foyer ont, quant à elles, majoritairement intégré le marché du travail. Et on ne recycle plus les bouteilles de lait.

En voyageant en Europe, elle a aussi découvert que la mythologie du métier n’était pas la même en France et en Angleterre. « Je me suis aperçue que la livraison de lait ne se faisait pas de la même façon », dit-elle, ajoutant que le Québec a plutôt hérité de la tradition britannique dans ce domaine. Le costume diffère, notamment. Les laitiers européens sont traditionnellement représentés en costume blanc avec un nœud papillon. Le père d’Arleen a pour sa part longtemps porté un costume bleu marine avec une chemise bleu pâle.

« On a un petit côté film américain », dit-elle.

Fille de laitier

D’Arleen Thibault, à la salle Claude-Léveillé de la Place des Arts, les 9 et 10 mai et à la salle d’Youville du Palais Montcalm, les 19 et 20 mai.

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