Le Festival du Jamais Lu propose des prises de parole libératrices

L’équipe du festival de théâtre Jamais lu, composée de Lesly Velázquez, de Vincent Millard et de Marcelle Dubois
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir L’équipe du festival de théâtre Jamais lu, composée de Lesly Velázquez, de Vincent Millard et de Marcelle Dubois

Le 22e Festival du Jamais lu montréalais s’ouvre sur la thématique des « Joies lucides ». Une ligne éditoriale émanant des nouveaux textes sélectionnés et inspirés par le contexte actuel. Sentant « quelque chose de crispé dans la société », la directrice artistique et générale Marcelle Dubois avait envie de ramener à l’avant-plan ce qui est au coeur même d’un festival d’art vivant : le plaisir de se rassembler.

« Mes codirectrices artistiques [Jade Barshee, Gabrielle Lessard] de 2023 et moi, on a l’impression que la joie, l’empathie est un moteur bien plus stimulant pour l’avenir que l’angoisse ou la morosité ambiante. Mais en même temps, l’époque commande d’être lucides ! Et dans les auteurs rassemblés, certains sont plus du côté de la joie, d’autres de la lucidité. On voyage entre ces deux pôles. Même si les sujets peuvent être difficiles, l’acte théâtral même, le fait de se réunir est joyeux. »

Lancé par Tiohtià:ké. Cartographie de récits autochtones, spectacle où six artistes se réapproprient l’histoire de Montréal, l’événement propose moult activités, dont neuf mises en lecture de textes québécois inédits. Et la série de performances offertes gratuitement de 6 à 7 s’intitule cette année les Chambres de défoulement.

Six prises de parole où, « chacun à leur manière, les artistes font une espèce de catharsis sociale sur différents sujets pour briser un peu des carcans, des tabous, des ornières qui nous empêchent, comme société ou comme individu, d’atteindre la joie collective », résume Marcelle Dubois. Elle cite en exemple Les Parrfaites, un « groupe de sept femmes issues de la rue, toutes en reconstruction de vie, qui utilisent l’art pour parler de leur parcours, mais aussi pour se donner un empowerment ».

Quant à Nicolas Gendron, qui a rencontré plusieurs nonagénaires pour Break a legs, « il part à la recherche de ce que les aînés ont à dire, pour se questionner sur le manque de considération envers les générations précédentes ».

La comédienne Lesly Velázquez voit dans ce format intimiste un espace « très sécurisant » pour faire entendre sa voix d’autrice émergente. Avec Casa Chica, elle raconte, avec une touche autobiographique, et en utilisant aussi des objets, un récit familial. « Je trouve en général les histoires de famille très croquantes, parce qu’il y a toujours des secrets ! Moi, je viens d’une famille très nombreuse, grâce à mon père, mais on ne savait pas qu’on était nombreux (rires). »

La native du Mexique y expérimente le genre de l’autofiction, qu’elle décrit comme « faire un pacte avec le mensonge — la mémoire est très sélective, il y a déjà un filtre qui se fait ». Son texte adopte le point de vue d’une enfant, car c’est un regard dépourvu de jugement sur la situation familiale. C’est une fois adulte que l’on « commence à voir que ce n’est pas normal, ou que ça ne devrait pas l’être. C’est l’adulte qui veut aller dans le passé régler des choses ». Ce qui intéresse l’autrice dans ce récit, c’est de « voir que le spectre humain est vraiment large ».

Il y a aussi une part très intime dans le texte de Vincent Millard. « C’est un sujet qui m’habite tellement. Dans ce que je vais dire ce soir-là, il y a des choses que je n’ai jamais dites à personne », lance l’auteur de la Chambre de défoulement no 5, Ouvert à toute diversité corporelle. Une formule que ce diplômé de l’École de théâtre de Saint-Hyacinthe de 2021 a souvent lue dans les appels d’auditions de publicités.

À force de lire cette même phrase et d’autres du même type (« ouvert à toutes ethnies ! » illustre Lesly Velázquez), il s’est mis à mettre en doute sa signification. « On dirait que ça veut dire : normalement, on n’est pas ouverts à la diversité corporelle, mais cette fois-ci, oui. »

Pour ce documentaire autobiographique sur la place de cette diversité dans le domaine du casting, Millard a conduit des entrevues dans les milieux de la télévision et du théâtre. Et chaque personne rencontrée lui en a suggéré une autre. « Je pense que c’est un sujet dont on veut entendre parler. » Il y aborde les rôles des « personnes grosses qui sont stéréotypées encore aujourd’hui » — le milieu artistique est « un gros paquebot : il tourne lentement ». Cet ex-enfant acteur, qui a commencé à 12 ans, parle aussi de ses propres expériences, du chemin parcouru dans son rapport à son corps.

Catharsis

 

Cette carte blanche a sa contrainte : chaque performeur-auteur doit conclure avec un geste de défoulement, pour inciter le public à la catharsis collective. Vincent Millard posera une action « très symbolique ». Lors de notre rencontre, Lesly Velázquez hésitait encore entre deux gestes, dont un intégrant les spectateurs dans sa portée libératrice. Si nos interviewés réservent la surprise quant à la forme de cet acte, dans les deux cas, il présente un caractère intime.

« Souvent, on voit le défoulement comme des gestes d’éclat », note Marcelle Dubois. Mais ça ne revient pas forcément à tout casser. D’autres Chambres de défoulement correspondent plus à ce principe. « Annick Lefebvre a écrit Surtout ne pas déchirer sa chemise dans cet esprit. Elle explore le sentiment de la colère à l’âge adulte, éprouvant les limites de cette émotion qu’on est censés canaliser. Avec Modeler, Charlotte Gagné-Dumais travaille sur comment casser les modèles qui nous forment, et vont inévitablement nous décevoir, pour devenir qui on est. » Elle passe littéralement au hachoir ses idoles en pâte à modeler…

Souvent, on voit le défoulement comme des gestes d’éclat 

Autrement, le défoulement peut consister simplement à mettre en vue ce qui est refoulé, selon la directrice. Comme ici par des mots. « Parfois, ce qui va nous permettre de fracasser les murs nous limitant comme individu ou comme société, ça passe juste par une petite fissure qui va s’ouvrir, et la digue va lâcher. Et quand la digue lâche, il n’y a rien de plus libérateur. »

Festival du Jamais lu

Au théâtre Aux Écuries, du 5 au 13 mai

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