«Quinze façons de te retrouver»: une voix bien singulière

Sur les planches du Trident, le travail du texte devient le socle de la présence unique et généreuse d’Anne-Marie Olivier.
Photo: Stéphane Bourgeois Sur les planches du Trident, le travail du texte devient le socle de la présence unique et généreuse d’Anne-Marie Olivier.

Dans la saison théâtrale qui se clôt, Quinze façons de te retrouver occupe une place bien particulière. En plus de marquer cette année un retour sur les planches de la comédienne Anne-Marie Olivier, ce solo vient également ponctuer la dernière saison programmée par celle qui, à partir de 2012 et jusqu’à la saison dernière, assurait la direction artistique du Trident. Tout jeu de mots avec le titre étant exclu, il reste vrai que sa présence prend ici des airs de retrouvailles.

L’argument initial est simple, livré dans une adresse directe au public dès le lever de rideau : le départ d’une soeur qui, sans être celle que l’on croit tout à fait, a choisi de rompre définitivement avec la comédienne — et pourquoi ? Devant cette cassure sans motif apparent, devant les interrogations reprises en boucle, la femme de théâtre élabore ainsi quinze façons de revisiter ce lien : une pour chaque année passée depuis la déliaison.

Une telle division, structure du spectacle nourri au vécu d’Olivier, présentera l’avantage notable de débrancher d’emblée notre envie d’un récit suivi. Entre une chanson des Beatles conviant des souvenirs puissants ou une amie d’antan larguée elle aussi, on se laisse dès lors porter ; entre épisodes passés et réflexions, douleurs présentes, on vogue volontiers au gré des scènes comme une suite de vignettes.

Certes, ces quinze tableaux auraient gagné à être mieux définis peut-être, singularisés. On se prend à imaginer des couleurs plus marquées aux différentes stations, des éléments de scène les distinguant les unes des autres en marge du seul propos de la comédienne — il se pourrait bien cependant que ce soient là des mots pour un autre spectacle.

La mise en scène de Maryse Lapierre, douce et attentive, fait le pari de coller à la parole qui fonde ces Quinze façons. Pensons à l’accompagnement en scène du musicien Benoît Shampouing, un habillage d’atmosphères discrètes qui aura certes quelques charges plus incisives ; au magnifique fond de scène, aussi : parfois nuages et parfois voûte étoilée, la vaste projection (Claudie Gagnon, Keven Dubois) donne mine de rien la direction du récit, la ligne d’horizon du spectacle.

Ces éléments restent toutefois discrets, dans un spectacle dont la première chose qui frappe est la qualité de l’adresse.

La parole tendue

Le plus notable de ce Quinze façons de te retrouver loge tout entier dans la voix singulière d’Anne-Marie Olivier, qui jongle ici avec un matériel éminemment personnel — ce qu’elle appelle son autocueillette.

Les différents tableaux finissent par peindre un portrait senti et complexe de cette personne aimée, mais disparue, la tendresse n’excluant pas la colère ou le dissentiment, autour de la valeur du théâtre ou de l’éducation des enfants par exemple, et plus généralement de la façon dont chacun oriente sa vie, son désir.

Or, ce portrait en forme de voyage repose presque entièrement sur les seuls mots de la comédienne qui, sous les traits d’une apparente banalité, s’avèrent truffés d’images. Mille trouvailles, à travers une livrée pleine de quotidien, révèlent une langue finement ouvrée, laquelle pourtant arrive à se faire oublier et à maintenir captive notre attention, cela en dépit d’une scène gardée très près de sa plus simple expression.

Sur les planches, ce travail du texte devient le socle d’une présence unique, généreuse. Le partage est effectif, touchant ; et si la finale nous laisse l’impression d’un inachevé, si le deuil qui s’y déploie résonne sur une note incertaine, on n’en garde pas moins le sentiment vif d’une parole forte qui, par le fond autant que par la forme, sait rester tournée vers son auditoire.

À corps d’humour qui fait mouche ou de clins d’oeil, de partages francs et sincères, Quinze façons déploie l’humilité d’un travail de création qui, de partir du plus intime, demeure tendu vers l’autre ; un travail précieux dans notre paysage théâtral et culturel qui, avec Maurice présenté en octobre dernier au Périscope, marque le retour d’une voix qu’on a trop peu entendue dans les dernières années.

Quinze façons de te retrouver

Texte : Anne-Marie Olivier. Mise en scène : Maryse Lapierre. Avec Anne-Marie Olivier et Benoît Shampouing. Une coproduction du Trident et du Théâtre Bienvenue aux dames !, au Trident jusqu’au 20 mai.

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