Hugo Bélanger, au-delà du réel

Le metteur en scène Hugo Bélanger pour sa pièce, «Le rêveur dans son bain», présentée au TNM.
Photo: Adil Boukind Le Devoir Le metteur en scène Hugo Bélanger pour sa pièce, «Le rêveur dans son bain», présentée au TNM.

Lorsqu’on pense à des productions théâtrales où règne l’onirisme, un nom vient à l’esprit : Hugo Bélanger. Il a prêté son imagination et son penchant pour le merveilleux à la mise en scène de ses propres adaptations de plusieurs textes classiques destinés tant au grand public (Le tour du monde en 80 jours, Münchausen, les machineries de l’imaginaire) qu’aux jeunes (Pinocchio, Alice au pays des merveilles).

Or, il proposera en mai non pas une, mais bien deux pièces originales nées de sa plume. Aussi bien Alice de l’autre côté, à la Maison Théâtre, que Le rêveur dans son bain, au théâtre du Nouveau Monde, porteront son sceau fantasmagorique. « Je ne fais pas de théâtre de tables et de chaises, dit-il. Je veux faire décoller les gens du réel. Présentement, on est beaucoup dans l’autofiction, dans le théâtre documentaire, que j’aime beaucoup, mais le réalisme [en tant qu’artiste] ne m’intéresse pas du tout. »

Ce serait bien en vain qu’on chercherait quelque trace de réalisme dans Le rêveur dans son bain. Un artiste (interprété par Normand D’Amour, auquel se joignent, entre autres, Cynthia Wu-Maheux et Sébastien René), tapi dans sa baignoire depuis 20 ans, au grand dam de son fils, attend le retour de sa muse et donc de l’inspiration. Ce faisant, il évoque les grands créateurs qui l’ont précédé.

Se succéderont ainsi sur scène, notamment, le bédéiste avant la lettre Winsor McCay, le pionnier du cinéma Georges Méliès, le magicien Jean-Eugène Robert-Houdin, mais aussi des femmes que l’histoire de l’art a dédaignées, telles que la dadaïste Elsa von Freytag-Loringhoven et la photographe Hannah Höch. Il va sans dire que leurs disciplines respectives prendront visuellement forme sur scène.

Puisque, dans le théâtre d’Hugo Bélanger, se côtoient constamment l’explicable et la prestidigitation, le vrai et le fantasque, on sera peu surpris d’apprendre que la situation de son héros s’inspire d’un réel passage à vide, celui du bédéiste Fred, à qui l’on doit la série Philémon : « Sa dernière histoire est celle d’une locomotive à pattes qui fonctionne à vapeur d’imagination, mais qui, faute de matière première, ne peut plus avancer. Cette idée a contaminé l’auteur, qui, pendant 25 ans, n’a pas été capable de terminer sa bande dessinée. Lorsqu’il l’a enfin achevée, elle a été publiée et, un mois plus tard, il est mort. »

Les mystères de l’inspiration, les muses, les engrenages de la création sont des thèmes communs au Rêveur dans son bain et à Alice de l’autre côté. Cette dernière création s’avère, plutôt qu’une adaptation du Alice de l’autre côté du miroir de Lewis Carroll, une exploration loufoque du monde du théâtre, de ses métiers — du souffleur à l’accessoiriste —, car la jeune fille, en traversant son miroir, se retrouve au beau milieu d’un spectacle. Le directeur de la compagnie Tout à Trac aborde tout de même cet univers « un peu dans l’esprit de Carroll ». Le biscornu est donc au rendez-vous, de même que la satire, puisque tous s’y trouvent moqués, des critiques au metteur en scène, présenté comme un despote « habillé en fasciste italien, façon cinéma, à la Cecil B. DeMille ».

Du théâtre populaire érudit

 

Les références culturelles abondent dans les oeuvres de Bélanger. Si Alice de l’autre côté est ponctué d’un monologue chanté regroupant les phrases les plus célèbres de l’histoire du théâtre, Le rêveur dans son bain est construit à partir de personnages de créateurs plus ou moins méconnus. Comment conjuguer cette érudition à la volonté de l’artiste et de sa compagnie de proposer un théâtre « populaire » ? N’y a-t-il pas là antinomie ? Pas selon le principal intéressé. « Je déteste me faire dire que je suis un idiot, lance-t-il. J’aime me sentir intelligent et j’essaie de faire du théâtre où les gens se sentiront intelligents. J’aime faire des shows fédérateurs, où l’habitué de théâtre tripe (il y voit plein de référents), mais le néophyte aussi. Comme les films des débuts de Pixar ou Les Simpson, qui cumulent plusieurs niveaux de lecture. »

C’est peut-être parce qu’il croit si viscéralement à l’importance de l’art pour tous que Bélanger a fait de l’artiste oublié — ou qui craint de l’être — une des figures secondaires d’Alice et un des thèmes principaux du Rêveur. « McCay, c’est le père de la bande dessinée et du dessin animé ; il s’est ruiné pour ça et il est tombé dans l’oubli. Méliès est plus connu, mais il a quand même fini sa vie dans le fond d’un magasin de jouets, dans une gare. »

Le metteur en scène lui-même ne se sent pas à l’abri de cette sombre perspective : « C’est sûr que c’est là, cette peur d’être oublié. On crée quelque chose, on essaie de marquer, mais je fais de l’art vivant… Donc il meurt. Depuis 2018, je n’ai pas eu de shows de théâtre à Montréal (même si j’ai mis en scène les spectacles de Luc Langevin et d’André Sauvé) et, surtout pour les jeunes comédiens, c’est comme si j’étais disparu. Ça va vite ! »

Avant la pandémie, Hugo Bélanger était en effet en Chine, où il créait le spectacle permanent du Cirque du Soleil X: The Land of Fantasy. Or, celui pour qui « créer, c’est rêver debout », et qui estime que l’aphorisme de Descartes devrait être revu pour devenir « Je rêve, donc je suis », n’est pas nostalgique des budgets faramineux mis à sa disposition par le géant du monde circassien. « J’ai dit à ma compagnie : “La journée où on va avoir les moyens de nos ambitions, ça va être dangereux” », car il a la ferme conviction que la première idée est rarement la meilleure et qu’une route semée d’obstacles mène plus sûrement au fabuleux. « Je veux qu’on cherche, et surtout qu’on se trompe. Les plus belles idées naissent d’une contrainte, d’une erreur, d’un accident. » De fécondes embûches qui permettent de suivre les traces de Méliès et d’autres génies de l’innovation.

Le rêveur dans son bain

Texte et mise en scène : Hugo Bélanger. Au théâtre du Nouveau Monde, du 2 au 27 mai.

Alice de l’autre côté

Texte et mise en scène : Hugo Bélanger. À la Maison Théâtre, du 10 au 28 mai.

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