Se réapproprier Kerouac

Alexis Martin et Daniel Brière codirigent le Nouveau Théâtre expérimental.
Marie-France Coallier Le Devoir Alexis Martin et Daniel Brière codirigent le Nouveau Théâtre expérimental.

On s’est dit : “La traduction française de Kerouac est tellement sage, unidimensionnelle”

Il y a un monde et l’océan Atlantique entre la langue française de Jack Kerouac, apprise de la bouche de sa mère québécoise Gabrielle, à Lowell, au Massachusetts, et le français vernissé de la traduction qu’a livrée Gallimard du célébrissime Sur la route, de l’écrivain franco-américain.

Ce vernis de français de France, plaqué sur l’américain rythmé de l’icône de la beat generation, l’équipe du Nouveau Théâtre expérimental (NTE) invite le public à le faire sauter, pour ramener Kerouac francophone en Amérique. Durant trois week-ends, Kerouac, 100 ans sur la go ! propose de se réapproprier la francophonie de Kerouac à travers un atelier de traduction, mais aussi par des cabarets déployant une brochette d’artistes différente chaque semaine, dont Ariane Moffat, Joe Bocan, Jérôme Minière et bien d’autres.

L’idée est venue du dramaturge Jean Marc Dalpé et de Guillaume Martel Lasalle au cours d’une soirée bien arrosée, et à la lumière de la parution, d’abord en 2016, de La vie est d’hommage, recueil de textes que Kerouac avait directement écrit en français. « Je suis Canadien français, écrit-il, m’nu au monde à New England. Quand j’fâcher, je sacre souvent en français. Quand j’reve, j’reve souvent en français. Quand je brauille, j’brauille toujours en français, et j’dis’j’aime pas ça, j’aime pas ça ! »

Une traduction trop sage

« On s’est dit : “La traduction française de Kerouac est tellement sage, unidimensionnelle” », dit Jean Marc Dalpé, en comparaison avec la langue de Kerouac.

Durant les journées des week-ends, le NTE a donc conçu un atelier, avec une armada de machines à écrire et une machine à imprimer, où chacun est invité à traduire un extrait de Kerouac en français, ou encore à pondre un petit texte sur le sujet. Le tout sera réuni dans de petits cahiers. Le père de Kerouac, qui était originaire de Rivière-du-Loup, alors que sa mère venait de Saint-Pacôme, était d’ailleurs imprimeur.

Le NTE propose aussi une série de courts métrages inspirés de Kerouac, réalisés par des francophones de différents endroits du Canada. « Ce sont des francophones qui peuvent être touchés par l’errance, par la migration francophone », explique Daniel Brière, codirecteur du NTE avec Alexis Martin. Lui-même nous invite, par exemple, dans un voyage sur les traces de l’écrivain, visitant au passage des lieux où il s’est abreuvé de langue française, de la bibliothèque aux clubs sociaux de Lowell, en passant par son école, Saint-Louis-de-France. « Il a parlé en français jusqu’à six ou sept ans, poursuit Daniel Brière. Il a fait l’école en français jusqu’à cet âge-là. »

Un rêve

« J’ai jamais eu une langue à moi-même, écrit encore Kerouac dans La vie est d’hommage. Le Français patois j’usqua-six angts, et après ça l’Anglais des gars du coin. Et après ça — les grosses formes, les grands expressions, de poète, philosophe, prophète. Avec toute ça aujourd’hui j’toute melangé dans ma gum. » En fait, Jack Kerouac aurait souhaité écrire en français, nous dit l’équipe du NTE. « On sait maintenant que l’œuvre de sa vie, la vaste fresque inachevée qu’il projetait de rassembler sous le titre La légende de Duluoz, Kerouac souhaitait l’écrire en français. Mais pour sa carrière littéraire, il a dû sacrifier son french patois », écrivent-ils dans leur document de présentation.

On s’est dit : “La traduction française de Kerouac est tellement sage, unidimensionnelle”

 

Tout invite au voyage chez Kerouac. À la découverte de cette Amérique polyglotte méconnue, métisse, créole, du Maine à la Californie, de New York au Mexique. On y accède les mains sur le volant ou mal assis sur un siège d’autobus, ouverts au vent et à l’inconnu. Traduire Kerouac, c’est aussi en éprouver l’élan, une sorte de quête identitaire au milieu du rêve américain d’une classe moyenne conservatrice.

Sur scène, Maxime Catellier, notamment, livrera des extraits de sa traduction du livre Visions de Gérard, de Kerouac, qui est en cours de réalisation. Le poète vient d’ailleurs de consacrer un recueil de poésie à l’écrivain de Lowell, Jean dit. 

« Cette langue dans laquelle Kerouac rêvait, cette langue dans laquelle il pleurait, c’était la même que moi. Moi aussi, je rêvais et je pleurais dans cette langue, même si j’écrivais dans une autre », écrit Catellier, qui dit retrouver des envolées de jazz dans les conversations joualisantes de tavernes francophones.

Cet effort pour que les francophones d’Amérique se réapproprient Kerouac ne s’arrêtera pas là. Après avoir présenté à Rouyn-Noranda et à Montréal, Kerouac, 100 ans sur la go !, Jean Marc Dalpé rêve de le faire voir à Sudbury, Ottawa, Winnipeg, Saskatoon, Vancouver, Toronto et Moncton.

Kerouac, 100 ans sur la go !

Espace libre, les 21, 23, 28, 29 et 30 avril, et du 5 au 7 mai.

À voir en vidéo