«Le projet Riopelle»: Riopelle en 30 tableaux

Luc Picard, Anne-Marie Cadieux et Robert Lepage
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir Luc Picard, Anne-Marie Cadieux et Robert Lepage

Le 30 octobre 1992, lorsque sa fille Yseult l’appelle de Paris pour lui annoncer le décès de son ancienne compagne, Joan Mitchell, Jean Paul Riopelle s’enferme dans une maisonnette de L’Isle-aux-Grues, près de Montmagny. Sur une table allongée, il déplie une grande toile, qu’il ne coupera finalement jamais. Et il peint trente vignettes, une sorte d’œuvre-testament. C’est L’hommage à Rosa Luxemburg.

Ce tableau-fleuve sert de trame à une autre œuvre-fleuve, Le projet Riopelle, qui prend l’affiche chez Duceppe dans une mise en scène de Robert Lepage. Une pièce qui dure quatre heures quinze et qui met en scène des dizaines de personnages se déployant sur deux continents. En s’inspirant des vignettes de L’hommage à Rosa Luxemburg, où se cachent des messages codés, c’est la vie de Jean Paul Riopelle qui prendra forme sur scène, de ses débuts comme étudiant de Paul-Émile Borduas, à l’École du meuble de Montréal, à la mort de Joan Mitchell, en passant par Refus global et 40 ans de prospérité en Europe.

« Dans L’hommage à Rosa Luxemburg, il n’y a pas que des oies. Il y a des symboles. Il y a une queue de billard, beaucoup d’accessoires, des cadavres d’animaux », dit le metteur en scène.

Un peintre mystérieux

Pour rendre le tout, Robert Lepage a eu recours à dix comédiens, dont Luc Picard, qui incarne successivement Jean Paul Riopelle et son maître, Paul-Émile Borduas, et Anne-Marie Cadieux, dans le rôle de Joan Mitchell. Gabriel Lemire et Noémie O’Farell jouent Riopelle et Mitchell jeunes, respectivement.

Pour Luc Picard, le personnage de Riopelle demeure mystérieux, insaisissable. « Il ne se livrait pas beaucoup publiquement, dit-il, et il ne se livrait pas beaucoup dans sa peinture. » Pourtant, dans l’intimité, on le voit blaguer, raconte-t-il. Il arrivait aussi que Riopelle peigne des serviettes de table lorsqu’il recevait des invités à dîner. « Il était charmant », dit-il.

Autour d’eux gravira toute une série de personnages, de la brochette d’artistes fréquentés à Paris — le peintre Alberto Giacometti, le dramaturge Samuel Beckett, l’écrivain André Breton — à Huguette Vachon, la dernière conjointe de Riopelle, jusqu’à la gardienne des chiens, qui était en fait la peintre Hollis Jeffcoat, pour laquelle celui-ci a finalement quitté Joan Mitchell après 24 ans de vie commune.

Ce qui est ici dévoilé, c’est une relation entre deux monstres sacrés, dit Anne-Marie Cadieux. « C’était une relation très tumultueuse entre deux artistes aux fortes personnalités qui étaient très libres. Ça buvait aussi. Donc, tout le monde disait qu’il ne fallait pas se mettre entre les deux. »

Au moment de leur rencontre à Paris, c’est Riopelle qui est le plus célèbre. Puis Joan Mitchell prend graduellement sa place, jusqu’à ce que sa renommée dépasse celle de Riopelle sur la scène internationale.

Un peintre français ?

Finalement, rapporte Robert Lepage, c’est la maladie seule qui rappellera Jean Paul Riopelle au Québec. Là, il fait la rencontre de Champlain Charest, un restaurateur et mécène, qui lui installera un atelier dans les Laurentides, et qui l’emmènera visiter le Grand Nord à bord de son avion privé.

« Ils se promenaient en avion, et Riopelle disait à Charest : “Fais juste continuer vers le soleil.” Et tout ce qu’il faisait, c’était regarder le sol, regarder comment la lumière tombait sur le sol et sur les glaces. Il y a eu une bonne période où il était fasciné par ça », dit Luc Picard.

Pour Robert Lepage, pourtant, Jean Paul Riopelle, s’il est né au Québec, est davantage un « peintre français » qu’autre chose. Il a d’ailleurs évolué loin des causes politiques qui ont mobilisé le Québec. « Il se moquait de Marcelle Ferron qui distribuait des tracts pour le PQ », rappelle-t-il. En fait, les automatistes qui ont signé le Refus global ont été d’abord influencés par un manifeste élaboré en France par le groupe d’André Breton.

« Il y a un genre de manifeste que Breton a signé : Rupture inaugurale, poursuit Robert Lepage. Il a demandé à Riopelle de faire signer les automatistes au Québec. C’est là que Riopelle aurait dit : “pourquoi on signerait ça ?” Ça s’en prenait au stalinisme, à une vision du communisme dans laquelle des surréalistes ne se retrouvaient pas. “Pourquoi on n’écrirait pas notre propre manifeste ? Nous, c’est avec l’Église qu’on a des problèmes, avec tous les bien-pensants, l’intelligentsia qui ne comprend pas ce qu’on fait. La censure.” »

Robert Lepage a mené une recherche importante pour cette pièce, à laquelle il travaille depuis quatre ans. Dans les documents, bien sûr, mais aussi en rencontrant ses amis, sa famille, ses proches. Il a notamment fait des découvertes sur Rosa Luxemburg, militante communiste qui a inspiré Riopelle. « On a découvert un écrit de Rosa Luxemburg où elle s’identifie à une oie », dit-il. Pour Robert Lepage, L’hommage à Rosa Luxemburg est une œuvre-testament, même s’il lui a survécu de dix ans.

À l’occasion, Jean Paul Riopelle appelait Joan Mitchell « Rosa Malheur », par opposition à Rosa Bonheur, une peintre animalière française du XIXe siècle. Par ailleurs, Joan Mitchell aimait peindre au son de la chanson d’Édith Piaf La vie en rose. C’est d’ailleurs le nom qu’elle a donné à un grand tableau réalisé après sa rupture avec Riopelle.

« Le jour de la mort de Joan Mitchell, il a dit : “Toutes les Rosa sont mortes.” », rappelle Robert Lepage. Elles renaîtront chez Duceppe, le temps d’un spectacle.

Le projet Riopelle

Texte, conception et mise en scène : Robert Lepage. Dialogues : Olivier Kemeid. Coauteur, conception et direction de création : Steve Blanchet. Avec Luc Picard, Anne-Marie Cadieux, Noémie O’Farrell et Gabriel Lemire. Au théâtre Jean-Duceppe, du 25 avril au 11 juin, et au théâtre Le Diamant, du 19 octobre au 19 novembre.

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