«Le Scriptarium»: voyage au cœur de notre héritage

La cinéaste et autrice Kim O’Bomsawin
Photo: Photo fournie par le Théâtre Le Clou La cinéaste et autrice Kim O’Bomsawin

D’où viens-tu ? Quelles sont les traces de ta lignée dans ta vie ? Quelle place accordes-tu aux souvenirs, à la mémoire ? Quel est ton héritage familial, social, culturel ? Dans le cadre de la sixième édition du Scriptarium, ce projet d’écriture théâtrale lancé par le Théâtre Le Clou, Kim O’Bomsawin a sondé avec intérêt cette notion de passé, d’aïeul, d’ancêtres auprès des adolescents de 3e à 5e secondaire pour qui cette notion peut sembler a priori plutôt abstraite.

Si la cinéaste a accepté de jouer le rôle de commissaire cette année — et de vivre par le fait même une première expérience théâtrale —, c’est d’abord et avant tout pour les jeunes. Une jeunesse qui l’appelle, l’inspire et vers qui elle dirige régulièrement ses créations. « On est très sollicités. Mes collègues des Premières Nations qui travaillent dans le milieu des médias pourraient vous répondre la même chose. On doit faire des choix […], mais quand on m’appelle et qu’on me demande de m’engager pour inspirer la jeunesse, je ne peux pas dire non, et c’est un peu ce qui s’est passé avec Le Scriptarium », raconte-t-elle dans une entrevue accordée au Devoir. Elle ajoute par ailleurs être très honorée qu’on ait pensé à elle pour chausser ces souliers portés, dit-elle, par « de grosses pointures ». On se souviendra notamment de Louise Arbour, de Stéphane Crête ou de Didier Lucien, pour ne nommer que ces commissaires.

Engagée dans tout ce qui touche aux premiers peuples, habituée à aller à la rencontre des jeunes pour parler de devoir de mémoire et d’identité, Kim O’Bomsawin souligne avec reconnaissance tout le travail de réflexion mené en amont avec l’équipe du théâtre pour aboutir à ce sujet englobant et universel. « Il faut dire que la gang du Théâtre Le Clou est vraiment formidable. Le sujet n’est pas sorti de ma tête, ça ne serait pas gentil de ma part de prendre tout le mérite. On a “brainstormé”, mais ils m’ont surtout fait parler pendant un après-midi de temps et, à force de jaser, le thème des origines, de la lignée, des ancêtres — parce que c’est quand même quelque chose qui est au cœur de ma démarche, le devoir de mémoire et tout ça — a été proposé, et j’ai trouvé ça génial. Parce que tout le monde peut écrire sur ce sujet-là. Tout le monde a des ancêtres, une lignée, tout le monde à un héritage, que ce soit culturel ou familial », explique-t-elle.

Prendre la mesure du passé

Devant ce sujet aux mille possibles, l’équipe du théâtre et la commissaire se sont retrouvées devant des textes d’une grande richesse, variés, ouverts sur différents horizons. « Beaucoup de jeunes ont écrit sur la diversité, sur les diversités, je devrais dire. Diversité de genre, culturelle, d’origine, immigration récente, immigration lointaine, de souche — que je n’aime pas dire —, on trouvait tout ce spectre-là. Il y avait aussi beaucoup de fiction à travers ça. Parfois, les gens se sont laissés aller à inventer des histoires. »

La commissaire invitée croit par ailleurs que l’exercice demandé a permis à plusieurs jeunes de constater qu’ils avaient un héritage. « S’ils ne le savaient pas, ou s’ils pensaient qu’ils n’en avaient plus, ils ont réalisé qu’ils en avaient encore. Donc, ça les a forcés à faire un petit voyage au plus profond d’eux-mêmes, de leur famille, de leur entourage et puis, au final, on voit que le concept d’héritage, d’ancêtres, de lignée, d’identité culturelle, c’est encore très, très présent » Impressionnée d’abord par la diversité des textes, la cinéaste souligne aussi la maturité de l’écriture, des réflexions apportées par ces jeunes. « Ils étaient assumés et sont allés au bout de la démarche. C’était beau à voir […] Moi, à cet âge-là, je me serais dit que l’héritage, c’est ma famille. Je me serais alors retournée vers mon père et ma mère, et j’aurais continué vers mes grands-parents, mes arrière-grands-parents. Mais dans ce cas-ci, ils ont vraiment fait éclater le concept. J’imagine qu’il y a les profs aussi derrière tout ça. D’ailleurs, j’aimerais les saluer et les remercier de s’être engagés. C’est vraiment hors curriculum ; il faut se donner un peu plus de trouble, disons […] Il y a des professeurs vraiment motivés qui ont dû pousser l’idée jusqu’au bout avec eux autres. »

L’idée de réfléchir à cette notion a ainsi forcé les jeunes à regarder derrière eux pour mieux avancer, élément essentiel pour bâtir un avenir solide, croit Kim O’Bomsawin. « […] Parce que je le répète toujours, si on n’a pas les pieds bien enracinés, qu’on ne connaît pas notre histoire et qu’on ne sait pas d’où on vient, ça va être difficile de se trouver et de trouver une mission de vie qui soit professionnelle ou personnelle. Si ça peut les avoir aidés dans cette quête-là, tant mieux. »

Et même si elle constate que l’importance et le respect accordés au passé et aux souvenirs tendent à se dissiper dans la rumeur et la vitesse ambiantes, elle s’arme d’espoir devant une jeunesse aussi allumée et conscientisée. « [J’invite tout le monde] à faire ce voyage-là, un voyage au cœur de leur propre héritage quel qu’il soit, qu’il soit douloureux ou pas parce qu’au final, c’est un voyage nécessaire pour se propulser en avant », conclut-elle

Le Scriptarium

Auteurs et autrices adolescents. Commissaire : Kim O’Bomsawin. Mise en scène : Myriam Fugère. Collage : Marianne Dansereau en collaboration avec Myriam Fugère. Production : Théâtre Le Clou en collaboration avec le Théâtre Denise-Pelletier et le Théâtre jeunesse Les Gros Becs. Présenté au théâtre Denise-Pelletier du 20 avril au 5 mai et au théâtre Les Gros Becs du 10 au 12 mai. Pour les 13 à 17 ans.

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