Allez au théâtre et payez ce que vous voulez

Si vous achetez des billets pour le prochain Carrefour international de théâtre, qui se tiendra du 25 mai au 10 juin à Québec, vous aurez une surprise. Ce festival des arts vivants de Québec offre cette année une « tarification inclusive ». C’est le spectateur qui décide, selon la représentation et sa conscience, s’il paie son billet 47 $, 33 $, 17 $ ou 0 $. L’exact opposé, en quelque sorte, de la billetterie dynamique façon Ticketmaster qui a fait s’enflammer le prix des billets pour Depeche Mode et The Cure. Contre-exemple.
« Nous, on veut renouveler notre public. Ça veut dire attirer des gens qui ne connaissent pas le théâtre, qui n’y viennent pas », a résumé pour Le Devoir la directrice générale du Carrefour international de théâtre, Dominique Violette.
« Ça suppose de réfléchir autrement et d’enlever des barrières. Et puis, une de ces barrières-là, c’est le prix. Eh ! notre prix unique, avant, c’était 55 $ le billet. C’est de l’argent ! » analyse Mme Violette.
Inspiré par le théâtre Cercle Molière de Winnipeg, nourri par le concept de tarification solidaire qui s’expérimente jusqu’à maintenant surtout en alimentation, le Carrefour international de théâtre a dû repenser de A à Z sa manière de vendre des billets.
« On a abandonné tous les autres éléments de notre tarification traditionnelle, poursuit la directrice. Avant, on avait des critères basés sur l’âge — moins cher pour les moins de 30 ans ou plus de 65 ans — ou sur le volume des ventes — nos abonnements », qui font qu’un spectateur qui achète plusieurs billets paie moins cher chacun de ces billets.
« On a décidé de simplifier le travail du spectateur et de lui donner plus de liberté. Chacun peut composer son abonnement, en décidant d’acheter un billet à 47 $, un à 33 $ et un autre à 17 $ », par exemple.
Le festival propose des critères pour aider le spectateur à faire son choix. En effet, un des défis de la tarification volontaire, c’est qu’elle peut être déstabilisante « pour le client qui ne connaît pas forcément la valeur des produits qu’il souhaite acquérir », selon le guide La tarification sociale. Une introduction, de Territoires innovants en économie sociale et solidaire.
Ainsi, le spectateur qui a le « goût de prendre un risque artistique, mais pas financier » est dirigé vers le billet à 33 $, celui qui a un faible revenu vers le billet à 0 $, celui qui « est sensible aux enjeux financiers des arts vivants » est orienté vers le billet à 47 $.
« Quand les gens choisissent leur prix sur Internet, une fenêtre apparaît, qui suggère de faire un don. Souvent, les gens qui prennent les tarifs les plus bas ajoutent un don. On voit que 0 $ n’égale pas 0 $. Il y a plus de subtilités », précise Dominique Violette.
Côté pratico-pratique, c’est le fait d’avoir des outils de gestion de billetterie assez raffinés qui permet au festival de faire cette gymnastique sans risquer sa santé financière. « Chaque jour, on examine nos rapports de ventes, poursuit Mme Violette. Si, pour une représentation, on voit qu’il y a trop de billets à 0 $ sortis pour qu’on arrive, ben on va arrêter de les offrir. »
« On ne va pas travailler à perte. On est prêt à réagir. Jusqu’à maintenant, les ventes suivent exactement les ratios qu’on avait imaginés. » Une autre manière de dire qu’il y a assez de vente de billets à 47 $ pour compenser ceux à 17 $ ou à 0 $.
Les tarifs de groupe, eux, continuent d’être vendus « à l’ancienne », aussi parce qu’ils viennent souvent avec des « services sur mesure », que ce soit un atelier de médiation, une rencontre avec un artiste ou une visite des coulisses.
Y a-t-il de nouveaux spectateurs qui se pointent, comme souhaité ? Il est trop tôt pour le dire. « On reconnaît déjà des comportements qu’on attribue à nos habitués. Mais le grand défi, on ne se le cache pas, c’est de rejoindre les gens qui ne connaissent pas le théâtre. »
Il ne suffit pas que les billets soient abordables ; encore faut-il le faire savoir. « Si je ne m’intéresse pas au théâtre, je ne serai pas sensible aux publicités pour y aller. Cette question de marketing et de promotion-là, on doit encore y réfléchir, pose Mme Violette. C’est la grande difficulté. »
« Notre désir le plus cher, conclut la directrice, c’est que cette expérience soit assez positive pour qu’on continue à l’avenir à offrir des tarifs solidaires. Je ne connais pas d’autre monde au Québec qui fait ça présentement. »
Ce que vous pouvez payer, ce que vous décidez
Depuis 2026, le théâtre féministe Imago, de Montréal, qui se promène de salle en salle selon les programmations ou ses locations, propose des billets « Payez ce que vous décidez ». Ce sont des « Pay What You Decide » et non « Pay What You Can », précise la productrice Danielle Laurin. C’est une différence pour nous, pour vraiment créer une porte ouverte, sans jugement. »
Une spécificité de la proposition d’Imago, c’est que le spectateur peut décider après le spectacle du montant qu’il octroiera à son billet. Pour sa prochaine année, Imago espère passer à 20 % de billets solidaires par représentation. Actuellement, la disponibilité est de un à quatre billets solidaires par soirée.
Le Cercle Molière, à Winnipeg, a pour sa part mis en place, à la saison dernière, sa « tarification solidaire », en laissant les spectateurs choisir. Leur billet peut être vendu à 0 $, 10 $, 15 $, 30 $ ou 40 $, sans question posée. Le Cercle Molière n’a aucune limite de billets sur aucun de ces tarifs.
Une saison plus tard, ça doit quoi ? « Parfois de la confusion », admet franchement la directrice générale et artistique, Geneviève Pelletier. « Les spectateurs ne comprennent pas complètement. Et ça entraîne pour nous une réflexion importante sur la manière dont on sollicite les gens et le message qu’on porte. »
« Il faut trouver comment dire qu’un billet à 0 $ n’est pas gratuit, parce que dans la logique capitaliste, pour les gens qui ne connaissent pas les codes du théâtre, ça peut être compris comme un billet qui n’a pas de valeur, explique Mme Pelletier. »
« Notre billet ne coûte pas rien ; c’est nous qui enlevons la barrière économique, mais pas la valeur du billet, ni celle du spectacle. Ça implique un réapprentissage des façons de jouer avec les normes capitalistes, une grande réflexion. »
« Ça donne une majorité des gens qui vont vers les échelles de prix plus élevés, poursuit Mme Pelletier, alors que nous aimerions avoir plus de spectateurs dans les plus bas échelons ; et des gens qui vont prendre le billet à 15 $, mais ajouter un don à la fin. Le prix moyen demeure stable, autour de 30 $, mais avec toutes sortes de variations. Ça a renfloué tout notre secteur philanthropique, qui était déjà assez développé. Ça, c’est super intéressant. »
Le Cercle Molière sait qu’il a fait des petits : le théâtre du Nouvel-Ontario, à Sudbury, et la Nouvelle Scène Gilles-Desjardins, à Ottawa, tentent l’expérience, tout comme le Carrefour international de théâtre — une première pour un festival.
« On est portés par l’intention de donner de l’accessibilité à nos spectacles de la manière la plus concrète et positive possible », conclut à son tour la directrice du Carrefour. Rendez-vous fin juin, donc, pour constater les résultats de cet essai.