Petit portrait des diffuseurs de spectacles post-pandémie

Les diffuseurs qui ont répondu à l’étude tâtent de tout : 84 % d’entre eux ont présenté au moins un spectacle de conte, et 80 % au moins un spectacle de danse, comme d’humour.
Éric Myre Les diffuseurs qui ont répondu à l’étude tâtent de tout : 84 % d’entre eux ont présenté au moins un spectacle de conte, et 80 % au moins un spectacle de danse, comme d’humour.

Les théâtres pluridisciplinaires ne se sont pas tout à fait relevés de la pandémie. Ces diffuseurs ont présenté l’an dernier une vingtaine de spectacles de moins, en moyenne, qu’avant la COVID-19. Une pandémie qui a aussi eu un effet positif : ses mesures d’aide financière ont permis plus de prise de risques artistiques. Reste que ces diffuseurs prédisent un déficit de 9 % pour 2022-2023. Petit portrait du dernier maillon de la chaîne artistique, celui qui noue le lien avec les spectateurs.

C’est une enquête d’AppEco dévoilée au début de l’année, faite à la demande de l’Association professionnelle des diffuseurs de spectacles RIDEAU, qui dessine les traits de ce portrait.

Cette Étude sur l’organisation industrielle, le soutien public et l’impact économique des diffuseurs pluridisciplinaires du Québec a sondé les 157 membres de l’association : 64 d’entre eux ont répondu, soit 41 %, avec des données portant sur 209 spectacles.

Ce qui frappe ? Ces diffuseurs pluridisciplinaires ont des visages, des théâtres et des besoins très différents les uns des autres. On y trouve tout autant un petit théâtre aux Îles-de-la-Madeleine que des grandes salles de la Place des Arts à Montréal ; des organismes sans but lucratif, et d’autres insérés dans une structure municipale, comme l’explique la directrice générale de RIDEAU, Julie-Anne Richard.

Ces différences se voient aussi dans les spectacles présentés, leur impact, leurs coûts, leurs réceptions. C’est souvent le grand écart dans les données. Un exemple ? Les 209 spectacles que les répondants ont présentés à l’étude ont attiré en moyenne 666 spectateurs. Le maximum pour un spectacle (qui peut être sur plusieurs représentations) a été de 16 857 spectateurs. Et le minimum, à l’opposé, de 15 spectateurs.

On apprend aussi qu’en 2021-2022, 65 spectacles ont été présentés en moyenne contre 84 en 2019-2020, avant la pandémie. Les diffuseurs prévoient un retour à la normale pour l’an prochain. Moins de spectacles, c’est moins de revenus pour les artistes, les artisans et les techniciens de la scène.

Les risques artistiques et les valeurs refuges

« Ce que la pandémie a démontré de manière exemplaire, analyse Julie-Anne Richard, c’est que les diffuseurs sont capables de vitaliser la chaîne des arts au complet. » Plus de 70 % de l’argent qui passe chez les diffuseurs descend le long de cette chaîne.

« Pourtant, la diffusion, c’est le maillon qu’on a négligé. Il faut être cohérent, et valoriser aussi ce dernier maillon, qui fait le lien avec les spectateurs, le public. » Sur les spectacles nommés lors de l’enquête, « plus de la moitié sont des spectacles de musique et de chanson (53 %), suivis du théâtre (22 %). Plus de 80 % des spectacles s’adressent au grand public, et 150 sont donnés par un artiste de grande notoriété ou bien établi », peut-on lire.

Mais ces diffuseurs tâtent de tout : 84 % d’entre eux ont présenté au moins un spectacle de conte, et 80 % au moins un spectacle de danse, comme d’humour. « Je suis assez heureuse, glisse Mme Richard, parce qu’on voit qu’avec l’aide à la billetterie instaurée pendant la COVID, les diffuseurs ont choisi d’être audacieux. C’était moins inquiétant pour eux de prendre un risque artistique en ayant ce coup de pouce. »

Dans l’analyse des revenus de l’ensemble de l’industrie, on constate qu’en 2019-2020, avant et au début de la pandémie, les revenus autonomes constituent 66 % des revenus, et l’aide financière publique, 31 %. L’année suivante, inversion : les revenus autonomes sont à 31 %, l’aide publique à 67 %.

« Alors qu’on aurait pu voir sur les scènes un repli vers les valeurs refuges, c’est l’inverse qui s’est produit. Ce que ça dit, croit Mme Richard, c’est qu’un diffuseur qui est mieux soutenu, chez qui on diminue la pression de la vente de billets, va prendre plus de risques, se tourner davantage vers la relève et tenter des spectacles nichés. »

On comprend donc quand RIDEAU se dit rassuré par la prolongation de la mesure à la billetterie annoncée cette semaine avec le budget. « Il semble y avoir des sous pour une transition sur trois ans. On a hâte de voir comment cela évoluera. »

L’association regrette par contre de ne pas voir dans le budget « d’augmentation pérenne des budgets du CALQ pour augmenter nos fonctionnements. Pour nous, ça crée de l’inquiétude pour la main-d’œuvre et pour tous les défis inflationnistes ».

Car trouver et garder les travailleurs culturels est un des défis actuels. Julie-Anne Richard soupire. « Il faut intéresser les gens à la culture, valoriser tout le secteur. Et bien les payer. Car à l’intérieur même du secteur culturel, il y a d’autres secteurs plus intéressants pour un travailleur que les arts de la scène. On est vraiment les parents pauvres. »

Faire durer les œuvres

« Je crois que, si on veut se développer comme un pôle attractif en emploi, ça passe par le fait de prendre soin de sa main-d’œuvre. Actuellement, tout le monde croule sous la tâche. » Et les salaires n’y sont pas concurrentiels. L’enquête révèle que les niveaux de production (PIB) et d’emploi restent pris dans un passé proche, comparables à ceux du début de 2015. Les perspectives financières prédisent un déficit d’exploitation projeté de 9 % pour 2022-2023.

Les trois raisons principales, selon l’étude, qui assombrissent l’avenir des théâtres pluridisciplinaires sont le modèle d’affaires aux revenus limités, un soutien gouvernemental qui serait insuffisant ainsi qu’une dilution des avantages économiques des arts de la scène vers les autres secteurs d’activité. Les diffuseurs espèrent donc une bonification de leur financement, direct mais aussi indirect, pour améliorer l’efficacité et la gestion.

« Typiquement, les diffuseurs disposent d’une marge de manœuvre avoisinant environ 30 % des revenus des spectacles pour couvrir leurs coûts et réaliser des profits, y compris l’aide financière », lit-on. Et ce sont les diffuseurs, rappelle Julie-Anne Richard, qui maximisent la vie d’une production artistique ou culturelle, ce qui n’est pas peu important, conclut la directrice de RIDEAU.

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