«Old Orchard» et ses amours d’été

Depuis sa sortie du Conservatoire d’art dramatique de Québec en 2004, Thomas Gionet-Lavigne a écrit ou collaboré à l’écriture d’une dizaine de pièces. Après y avoir présenté Basse-Ville en 2019, l’auteur et metteur en scène est de retour ces jours-ci à la Licorne, cette fois la grande. Grâce à Old Orchard, le directeur artistique du Théâtre Hareng rouge prolonge avec humour et tendresse son étude du désarroi amoureux et identitaire des millénariaux.
Comique et dramatique, cynique et néanmoins romantique, le quatuor imaginé par Gionet-Lavigne se déploie, vous l’aurez deviné, dans cette célèbre station balnéaire du Maine, un endroit particulièrement prisé des Québécois. On fait d’abord la connaissance d’Éric (Jean-René Moisan), travailleur social, et de Philippe (François-Simon Poirier), comptable chez Desjardins. Le premier, qui a ses habitudes à Old Orchard, s’apprête à faire découvrir au second, depuis peu célibataire, « le seul bar qui a de l’allure », celui fréquenté par « le monde qui veulent fourrer ». Là-bas, dans ce « monde à part », les deux amis vont rencontrer Annie (Myriam DeBonville), restauratrice, de son propre aveu « réservée », et Marie-Pascale (Milène Leclerc), policière, qui n’a pas la langue dans sa poche.
Au départ, les quatre héros donnent le change, s’adonnent avec beaucoup de reparties au jeu de la séduction, préservent farouchement les apparences. Mais, dès le lendemain matin, des lézardes commencent à poindre dans leurs discours. Loin d’être comblées par leurs vies amoureuses et professionnelles, loin de se reconnaître dans les valeurs dominantes et les rôles imposés, les âmes en peine sont rattrapées, jusque dans cette oasis où ils comptaient tout oublier, par un mal de vivre persistant. Une fois les masques tombés, les vulnérabilités admises et les véritables désirs nommés, les protagonistes pourraient bien goûter, les deux pieds enfouis dans le sable, à quelque chose qui s’apparente au bonheur. Une conclusion naïve, diront les cyniques. Vivifiante, répliqueront les romantiques.
Devant ces amours de vacances dont la portée est à la fois intime et collective, conjugale et politique, on pense spontanément aux premières comédies grinçantes de Francois Archambault, comme La société des loisirs. Mine de rien, en marchant sur la plage ou sur le quai, en contemplant l’horizon ou le reflet de la grande roue sur l’eau, les quatre personnages abordent des sujets comme la santé mentale et la dépendance à l’alcool, l’engagement amoureux et le consentement sexuel. Sans atteindre la fine analyse sociologique, et heureusement sans faire de leçons à qui que ce soit, le portrait de génération présente de remarquables nuances.
Mise en scène de manière rudimentaire, parfois même un brin maladroite, cette suite d’instantanés captive d’abord et avant tout parce que les personnages ont des mots pour dire leurs doutes et leurs convictions.On trouve dans la partition de Gionet-Lavigne une langue, un rythme, un souffle, de quoi espérer le meilleur pour l’avenir. Avec des compositions très différentes, mais tout aussi justes, François-Simon Poirier et Milène Leclerc offrent les moments les plus mémorables du spectacle.