«Pif-Luisant» entre plaisirs et limites du pastiche

Olivier Morin interprète Edmond Rostand.
David Ospina Olivier Morin interprète Edmond Rostand.

À l’automne 2014, Gabriel Sabourin avait créé Le prince des jouisseurs, hommage à Feydeau s’appuyant sur des éléments biographiques et échafaudé à la manière du vaudevilliste. Sa nouvelle création sert un peu le même traitement à l’auteur de Cyrano de Bergerac, Edmond Rostand. Le comédien-dramaturge n’est pas le premier à en faire sa muse — on pense à  Alexis Michalik. Mais là où l’oeuvre française Edmond racontait surtout l’épique création de la célébrissime pièce en 1897, le spectacle du Rideau vert nous transporte avant l’écriture de celle-ci, en imaginant comment Rostand aurait pu en trouver l’inspiration.

Dans Pif-Luisant — apparemment le surnom de l’auteur à l’école… —, le mélancolique Rostand, au lieu d’exercer sa profession d’avocat, accumule les échecs avec ses pièces, qu’il s’obstine à composer en alexandrins, ce qui n’est plus en vogue. De plus, ce jeune homme complexé — Olivier Morin est affublé sur scène d’un nez en trompette — est secrètement amoureux de la fille de la cuisinière (pimpante Élodie Grenier), à qui il n’ose pas se déclarer. Celle-ci s’entiche d’un jeune acteur de passage, Christian (fougueux Jean-François Pronovost). Et, clin d’oeil amusant, c’est à ce personnage, qui peine à s’exprimer, que revient en ouverture et en conclusion le rôle de narrateur de l’histoire.

Campée dans un décor de Loïc Lacroix Hoy réussi dans le genre — et recyclé de productions précédentes, bravo ! —, la pièce reproduit donc la trame principale de Cyrano : son triangle amoureux, et le stratagème du porte-voix. Gabriel Sabourin parsème son texte de moult références à des scènes ou à des répliques de la pièce originelle. Il y a parfois des inspirations ingénieuses : la fameuse envolée du « non, merci ! » appliquée à la pratique du droit. Et l’équivalent de la tirade du nez, que Rostand improvise à partir d’une critique éreintant l’une de ses oeuvres, compte parmi les réussites. Mais plus tard, on a aussi droit à de véritables extraits du fameux monologue lui-même.

L’auteur se tire bien de cet exercice pas facile, il rime avec assez de verve — il a donné au personnage de Rostand la manie de faire des rimes en conversant. L’amateur de Cyrano pourra s’amuser à repérer les motifs et les phrases inspirés — quand ce n’est pas carrément des extraits — du grand classique. Mais, même si le divertissement est bien tourné, on finit, devant tant d’emprunts, par se demander quel intérêt a un pastiche d’une pièce archiconnue qui n’offre pas grand-chose d’original.

1897
C’est l’année de la création de Cyrano de Bergerac. La pièce Pif-Luisant nous transporte avant l’écriture de celle-ci, en imaginant comment Rostand aurait pu en trouver l’inspiration.

Quant au reste du récit, ce qui entoure le trio central, il nous laisse sur notre faim. Pif-Luisant comporte une sous-intrigue autour du majordome (interprété par l’auteur lui-même), pathologiquement jaloux de sa femme (solide Marie-Hélène Thibault), qui ne peut aller faire les courses sans être suspectée de tromperie — ça confine au mari contrôlant. Si vous aimez les blagues de fromage…

Il faut toutefois reconnaître que Gabriel Sabourin a écrit un dénouement à la hauteur, qui parvient à rester dans le moule de la pièce de Rostand tout en trouvant une résolution différente, plus légère. Ce divertissement a aussi le mérite d’offrir au talentueux Olivier Morin l’occasion de jouer, d’une certaine façon, une version allégée de Cyrano. En poète désenchanté et amoureux piteux, ce comédien très expressif et sensible compose un personnage attachant.

Pif-Luisant

Texte : Gabriel Sabourin. Mise en scène : Stéphane Brulotte, assisté de Lou Arteau. Au théâtre du Rideau vert, jusqu’au 15 avril

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