Les femmes ont pris leur place dans les théâtres

Des comédiennes lors des répétitions de la pièce « Choeur battant », de Zoë Demoustier et Marie-Ève Huot, qui sera à l’affiche au théâtre au printemps
Photo: David Ospina Des comédiennes lors des répétitions de la pièce « Choeur battant », de Zoë Demoustier et Marie-Ève Huot, qui sera à l’affiche au théâtre au printemps

Les autrices dramatiques et les metteuses en scène ont occupé la moitié des programmations de 17 théâtres depuis 2021. Et les femmes de théâtre ont raflé la part du lion des prix et bourses accordés depuis 2018. Mais l’accès aux directions artistiques demeure ardu pour elles ; et la présence des metteuses en scène racisées reste rare. C’est ce qui ressort de La Sentinelle #2. Pour l’avenir, une recherche commandée par l’Espace Go.

La recherche, menée par Morald Jeldi, témoigne d’une évolution de l’équité entre hommes et femmes dans les programmations théâtrales. On note même un changement clair entre la saison 2018-2019 et les deux suivantes — 2021-2022 et 2022-2023, l’année de la pandémie n’ayant pas été comptabilisée puisque les théâtres étaient alors fermés.

Ainsi, en 2018-2019, 35 % des pièces étaient mises en scène par des femmes. En 2021-2022, on en compte 55 %, et pour l’année suivante, 46 %. Du côté des autrices, le changement est moins remarquable, et l’équité plus constante : elles comptaient pour 46 % des textes joués en 2018-2019, et 53 % puis 52 % pour les deux saisons étudiées suivantes.

46 %

C’est le pourcentage des pièces qui ont été mises en scène par des femmes lors de la saison 2022-2023.

« L’échantillon est pris sur un temps très court », a observé pour Le Devoir la chercheuse en études féministes Isabelle Boisclair, de l’Université de Sherbrooke. « Ça rend les statistiques difficiles à interpréter. Pour les mises en scène, est-ce que c’est le 35 % par des femmes qui est l’anomalie, ou le 55 % ? » donne-t-elle en exemple.

Les 17 théâtres étudiés sont tous situés à Québec ou à Montréal. Ils sont de grandeur variable, et incluent deux théâtres jeunesse, soit la Maison Théâtre et les Gros Becs. Mme Boisclair se demande si les résultats auraient été différents si des diffuseurs régionaux avaient été inclus dans la recherche.

Est-ce que la vague #MoiAussi de 2020 et les conscientisations qui en ont découlé sont un des facteurs qui expliquent les changements ? « Ça ne peut pas ne pas avoir eu d’effets, répond Mme Boisclair. Mais cet effet potentiel n’est pas mesurable. »

Si la majorité des statistiques rapportées par La Sentinelle #2 semble une bonne nouvelle aux yeux de la chercheuse, puisque le 45 % de présence de femmes qui marque pour elle la parité s’y retrouve souvent, celle-ci s’inquiète toutefois des données sur les mises en scène et les textes travaillés dans les écoles, pendant la formation de la relève artistique de demain.

« Ça fait peur ! » s’exclame-t-elle devant les courbes qui indiquent que lors des saisons 2017 à 2023, les textes d’auteurs ont constitué de 63 % à 85 % de ceux choisis pour les spectacles de formation. Leurs mises en scène étaient de 54 % à 83 % faites par des hommes.

« On sait que les écoles sont censées être un lieu d’innovation. Là, on voit qu’on éduque la relève théâtrale dans un environnement qui est encore plus conservateur que ce qu’est le milieu, alors qu’on devrait s’attendre au contraire. Comment ces jeunes-là vont-ils réagir quand ils vont sortir des écoles et se mettre à recevoir des indications de metteuses en scène ? » se demande Isabelle Boisclair.

La direction artistique, valeur symbolique d’un théâtre

Du côté des prix et bourses, les femmes sont en tête. Elles représentent de 54 % à 100 % des lauréats, et remportent de 66 % à 100 % des montants attribués. « C’est ce qu’on avait démontré dans l’étude Quelle place pour les femmes dans le champ littéraire et dans le monde du livre au Québec ?, commandée par l’Union des écrivaines et des écrivains québécois », que Mme Boisclair avait dirigée. « Hors des préjugés et des biais, les femmes sont aussi bonnes que les hommes », estime la spécialiste.

Dans les instances de direction, les conseils d’administration sont assez paritaires. « On sait que c’est le lieu du bénévolat », sourit Mme Boisclair. Du côté des directions générales, le portrait semble aussi assez équitable. Mais à la direction artistique, on retrouvait seulement 37,9 % de femmes au sein des théâtres étudiés au 1er septembre 2022.

« La direction artistique, c’est la signature d’un théâtre », analyse Mme Boisclair. « C’est là que la valeur symbolique joue à fond. Et les hommes dominent », occupant 62,1 % de ces postes. Et du tableau où s’observe à plus long terme, depuis 1993-1994, l’équité dans les instances de direction ressort « la résistance. On est encore en dessous de la marque de 45 %, qui indique pour moi la parité ».

Isabelle Boisclair salue le fait que la recherche se soit attardée aux difficultés d’accès des metteuses en scène racisées, trop absentes. « Il faut qu’il y en ait, qu’il y en ait plus ; il faut en attirer dans les écoles. Et on doit réfléchir autrement les liens et les fossés entre les milieux communautaires et ce qu’on perçoit comme étant le milieu artistique professionnel. »

La recherche propose aussi des pistes de solution, qui seront présentées, en même temps que les résultats statistiques, mercredi soir. Le tout inaugurera un chantier de réflexion qui cherchera, jusqu’au 3 février, « Comment déployer les leaderships des femmes en théâtre ? ».

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