Séduisante énigme

Les interprètes Gabriel-Antoine Roy et Amélie Dallaire, à la singularité assumée, forment un duo à la fois déjanté et cohésif, jouant dans des zones d’intimité.
Photo: Maxime Paré-Fortin Les interprètes Gabriel-Antoine Roy et Amélie Dallaire, à la singularité assumée, forment un duo à la fois déjanté et cohésif, jouant dans des zones d’intimité.

Il y a trois ans, l’auteur Gabriel Plante et le metteur en scène Félix-Antoine Boutin mettaient au monde le grinçant Histoire populaire et sensationnelle. On se retrouve ailleurs dans leur nouvelle création, une pièce singulière, moins lisible dans sa signification, mais guère moins ludique et imaginative. Récit comme hors du temps, liant la dégradation d’un couple et l’évolution de l’espèce humaine, le philosophique et le sensoriel, Sur l’apparition des os dans le corps séduit, intrigue, même si le spectacle nous laisse souvent désorientés sur le plan de la compréhension rationnelle.

Cette fable métaphorique est centrée sur une femme rendue insensible, qui prétend qu’aucun traumatisme ne peut la blesser ou la tuer. En quête de sensations — et, semble-t-il, espérant une possible future métamorphose —, Lorene se jette en bas de diverses hautes structures pour se briser tous les os. Ayant vécu une rupture, elle a fui dans une chambre d’hôtel en plein désert du Mojave, en compagnie d’un étrange personnage : un être sans nom, genre déterminé ou même contenu anatomique, se décrivant comme « l’équivalent organique d’une pensée ». Une figure à l’allure d’ermite qu’elle a trouvée quêtant au « square Berri »…

On semble assister ici au questionnement identitaire de personnages qui usent de références scientifiques ou géologiques pour se définir, sur de très vastes échelles temporelles. On entend par exemple Lorene tenter d’expliquer par des formes géométriques la relation de plus en plus distanciée qui la liait à son amoureux, Godfrey.

Photo: Maxime Paré-Fortin

D’une scène où la narratrice emprunte franchement la posture d’un stand up comique à une autre, où on la voit nettoyer un squelette à la façon d’une archéologue, la nature de la pièce elle-même semble en perpétuelle transformation. Sur le plan formel, en tout cas, le spectacle de Création dans la chambre est réussi. La scénographie d’Odile Gamache réserve plus d’une surprise avec son rideau rouge campé au centre de la scène, entre un lit et une baignoire, qui s’ouvre pour révéler un espace sablonneux où est plantée une cabine téléphonique. L’attrayante trame musicale et sonore de Christophe Lamarche-Ledoux contribue également à l’étrangeté de l’univers.

Les interprètes Amélie Dallaire et Gabriel-Antoine Roy, à la singularité assumée, forment un duo à la fois déjanté et cohésif, jouant dans des zones d’intimité. La comédienne prête aussi habilement sa voix enregistrée, et modifiée, à l’ex, Godfrey, une composition qui ajoute des sonorités décalées au paysage de la pièce.

Bref, même si on se perd à travers ses nombreuses pistes, on ne s’ennuie pas devant cette espèce de road movie scénique existentiel.

Sur l’apparition des os dans le corps

Texte : Gabriel Plante. Mise en scène : Félix-Antoine Boutin. Un spectacle de Création dans la chambre, jusqu’au 11 février, au théâtre Prospero

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