«Tu ne me croiras pas»: résister à la guerre par l'amour

Les comédiens Mary-Lee Picknell et Mattis Savard-Verhoven dans la pièce de théâtre «Tu ne me croiras pas»
Photo: Éva-Maude TC Les comédiens Mary-Lee Picknell et Mattis Savard-Verhoven dans la pièce de théâtre «Tu ne me croiras pas»

Le dramaturge Guillaume Lapierre-Desnoyers ne craint visiblement pas les sujets sombres, ou de plonger avec sensibilité au coeur de la souffrance humaine. Après avoir donné une voix à de jeunes fugueuses marginalisées dans Invisibles — aussi créée à La Petite Licorne, en 2018 —, il explore avec force les effets de la guerre. Et même si le grondement des conflits armés peut sembler lointain au Québec, les protagonistes de sa pièce nous somment de ne pas détourner le regard de cette réalité.

Cela n’arrive pas qu’aux autres, semble dire Tu ne me croiras pas, récit adressé parfois directement à un personnage absent — qu’on ne nommera qu’à la fin. La protagoniste n’aurait pas pu y croire, avant, à sa ville déchirée par une guerre civile, à son monde qui disparaît. Le texte traduit ainsi, d’abord, le sentiment d’irréalité vécu par ces populations précipitées dans le quotidien de moins en moins reconnaissable, de moins en moins humain, d’une cité frappée par la guerre. Difficile de ne pas avoir une pensée solidaire pour les Ukrainiens. Mais ici, ni le lieu ni le motif des hostilités ne sont nommés. Le récit garde donc un caractère universel, et est entièrement incarné par un couple, interprété avec conviction par Mary-Lee Picknell et Mattis Savard-Verhoeven.

La structure efficace du récit, qui joue entre la narration directe alternée et les dialogues, nous apprend par flash-back que les amants se sont d’abord connus à l’université, puis longuement perdus de vue avant la guerre. Appartenant à des groupes aujourd’hui ennemis, elle et lui essaient de se préserver un espace à l’abri de la violence, de résister en s’aimant. Se fixant d’occasionnels rendez-vous dans une manufacture abandonnée, ils s’interdisent de parler de leur vie en dehors de cette oasis. Mais le conflit extérieur s’infiltre de plus en plus dans leur refuge, dans leur intimité.

Univers puissant, intense et glauque que ce Roméo et Juliette guerrier. La finale privée de lumière — qui semble un peu précipitée, après la progression sentie, bien amenée du récit — nous laisse assommés par son caractère irrémédiable.

Le spectacle dirigé par Frédéric Blanchette nous maintient dans une bulle tendue et ténébreuse. Un espace scénique surmonté par une grille qui l’emprisonne, qui prend vie sous les éclairages très contrastés d’André Rioux. Tu ne me croiras pas bénéficie aussi d’un prenant environnement sonore. C’est ici plus qu’un cliché : campé dans un coin de la scène, le multi-instrumentiste Vincent Carré joue le rôle d’un troisième personnage. Du son lancinant d’une corde qui vibre aux pétarades des percussions, le musicien marque avec éclat les émotions fluctuantes des personnages, fait entendre l’intensité de la violence, du désespoir comme de la ferveur amoureuse.

Tu ne me croiras pas

Texte : Guillaume Lapierre-Desnoyers. Mise en scène : Frédéric Blanchette. Du Stuko-Théâtre. À La Petite Licorne, jusqu’au 8 décembre.

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