Étienne Pilon joue Léger, mais pas léger

Dans «Changer de vie», créé par l’incontournable institution estivale qu’est le Petit Théâtre du Nord, Étienne Pilon incarne Ricardo, lequel, sans révéler de punch, prend subitement une décision plutôt radicale.
Photo: Valérian Mazataud Le Devoir Dans «Changer de vie», créé par l’incontournable institution estivale qu’est le Petit Théâtre du Nord, Étienne Pilon incarne Ricardo, lequel, sans révéler de punch, prend subitement une décision plutôt radicale.

Étienne Pilon goûte l’humour décapant de Catherine Léger. « Elle a une fine plume pour écrire des personnages qui paraissent réalistes, dans des contextes où tout est en place pour ressembler à la vie quotidienne, mais qui sont légèrement décalés. Où il y a une progression dans l’histoire qui fait qu’à un moment, ça dérape. Les personnages vont dans des excès. Elle réussit à nous surprendre, aux moments où on s’y attend le moins. Et elle ne donne pas de solution. Catherine parle de choses qu’elle observe, il y a un aspect philosophique, mais ce n’est pas moralisateur, ce que j’aime. Elle met un peu ses personnages dans un aquarium, et ils essaient de se dépatouiller, mais elle ne les juge pas. »

Après Filles en liberté en 2017, à La Licorne, c’est la deuxième fois que le comédien a l’occasion d’interpréter l’écriture acérée de l’autrice de Baby-sitter. S’il n’est pas étranger à la comédie, y compris estivale, on associe plus volontiers Étienne Pilon, que nous rencontrons alors qu’il sort d’une répétition de La nuit des rois, le quatrième Shakespeare de sa carrière (pour le TNM, l’automne prochain), aux rôles intenses, dramatiques. Des personnages qui permettent à ce comédien aimant « creuser, répéter, lire et relire » de fouiller profondément ses rôles. « Cela dit, il reste que le personnage que je joue au théâtre d’été est un gars quand même très intense ! » dit-il en riant.

Dans Changer de vie, créé par l’incontournable institution estivale qu’est le Petit Théâtre du Nord, à Boisbriand, il incarne Ricardo, lequel, sans révéler de punch, prend subitement une décision plutôt radicale. « Il y a un effet de dominos dans le récit. Chacun des personnages en fait tomber, en bouleverse un autre. » C’est d’abord Jasmine (Marilou Morin), en crise, qui débarque sans crier gare chez son « amie » Facebook Nathalie (Mélanie St-Laurent). S’incrustant, elle aura une influence forte sur son hôtesse, qui remet en question sa vie en apparence accomplie, ainsi que sur le mari de celle-ci (Ariel Ifergan), un producteur de films à la carrière décevante.

« Ce sont tous des personnages menant une vie qui ne leur semble pas complètement satisfaisante, qui sont à un carrefour de leur existence, où ils ont la possibilité d’en sortir, de changer, d’effectuer un [virage à] 180 degrés, explique Étienne Pilon. Mais ils le font de manière un peu superficielle, si bien que ça reste chambranlant. C’est comme s’ils cherchaient des solutions à l’extérieur d’eux, qu’ils ne prenaient pas le temps de s’asseoir pour se demander : est-ce ce que je veux réellement ? »

Pas seulement la vertu

 

Cette pièce, où tout part d’une publication Internet, aborde également l’effet des réseaux sociaux, qui ont amplifié une insatisfaction chronique face à nos choix. « Parce qu’on a accès à la vie de tout le monde. Et il y a quelque chose de superficiel là aussi, je pense : c’est le plus beau qu’on nous met dans la face, sur ces réseaux, pas les soirées déprimées ! Lorsqu’on scrolle sa page Facebook, on peut vite faire : il est chanceux, lui… En tout cas, moi, l’envie d’être autre chose me traverse l’esprit, parfois. Par exemple, pour un acteur qui en voit d’autres obtenir des rôles, admettons à la télévision, parfois c’est facile de devenir envieux, de vouloir autre chose que ce que notre propre vie nous apporte. »

Et il faut alors faire l’effort de se rappeler tout ce que soi-même, on a, tout ce qu’on fait. Le comédien se dit lui-même très pudique sur les médias sociaux. « Je ne juge pas les gens qui font [beaucoup de publications], mais moi, on dirait que ça m’intimide. Ça me gêne ! Je n’ai pas envie de partager cette intimité. »

Dans Changer de vie, pièce mise en scène par Sébastien Gauthier, les deux personnages masculins paraissent plus sensibles que leurs contreparties féminines, elles-mêmes plus fortes, d’une certaine façon. « Ils ont une fragilité dans leur intensité émotive, confirme l’acteur. C’est vrai qu’ils sont bien connectés avec leurs émotions. » Tandis que Jasmine et Nathalie, qui prennent des décisions, « sont peut-être plus dans l’action. Il y avait ça aussi dans Filles en liberté : les trois gars étaient un peu à la remorque. Mais en même temps, ce que j’aime de ces personnages, c’est qu’elles ne sont pas que vertu. Elles sont prises elles aussi dans leurs défauts, dans les mauvaises décisions qu’elles prennent. Parfois, elles vont trop loin. C’est ce qui est intéressant ».

L’interprète vante la « formidable équipe » dont il est entouré et le plaisir qu’il trouve dans le processus mouvant d’une création au théâtre (« jusqu’à tout récemment, Catherine réécrivait encore la fin de la pièce »). Bref, l’insatisfaction n’est de toute évidence pas le lot d’Étienne Pilon, cet été.

Changer de vie

Texte : Catherine Léger. Mise en scène : Sébastien Gauthier. Avec Ariel Ifergan, Marilou Morin, Étienne Pilon et Mélanie St-Laurent. Une création du Petit Théâtre du Nord. Au Centre de création de Boisbriand, du 23 juin au 27 août

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