«Annie»: adoptées par la comédie musicale

Complices, ricaneuses, un brin angoissées à l’idée de la première d’« Annie » qui approche à grands pas, les trois talentueuses interprètes Émily Bégin, Véronique Claveau( (au centre) et Geneviève Alarie avouent depuis les coulisses du théâtre St-Denis que c’est en quelque sorte le destin qui les a guidées vers un genre qui est probablement aussi exigeant que polarisant.
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir Complices, ricaneuses, un brin angoissées à l’idée de la première d’« Annie » qui approche à grands pas, les trois talentueuses interprètes Émily Bégin, Véronique Claveau( (au centre) et Geneviève Alarie avouent depuis les coulisses du théâtre St-Denis que c’est en quelque sorte le destin qui les a guidées vers un genre qui est probablement aussi exigeant que polarisant.

Contrairement à Kayla Tucker, la fillette de 11 ans qui a décroché le rôle de la rouquine orpheline après des mois d’auditions à travers le Québec, Geneviève Alarie, Émily Bégin et Véronique Claveau ne caressaient pas le rêve de faire de la comédie musicale lorsqu’elles étaient enfants. Complices, ricaneuses, un brin angoissées à l’idée de la première d’Annie qui approche à grands pas, les trois talentueuses interprètes avouent depuis les coulisses du théâtre St-Denis que c’est en quelque sorte le destin qui les a guidées vers un genre qui est probablement aussi exigeant que polarisant.

« C’est grâce à Denise Filiatrault que j’ai réellement découvert la comédie musicale, rappelle Émily Bégin. J’avais 21 ans, je venais tout juste d’être délogée de Star Académie, l’autobus venait à peine de repartir vers Sainte-Adèle quand elle m’a annoncé que j’avais un rôle dans Cabaret. Lorsque tu goûtes à ça, que tu réalises que ça te correspond parfaitement, que tu carbures à cette adrénaline-là, c’est impossible de faire marche arrière. »

« Moi aussi, intervient Véronique Claveau, c’est grâce à Denise que j’ai mis le pied dans la comédie musicale. Elle m’a d’abord proposé un rôle dans un drame musical intitulé Une vie presque normale, puis l’année suivante c’était Hairspray. À ce moment-là, j’ai su que c’était le début de quelque chose. Il y a un tel esprit d’équipe dans ce genre de production, j’ai des frissons juste à en parler. »

C’est le film de ma vie. Je l’écoutais chaque année dans le temps des Fêtes. J’étais insatiable.

« Pour ma part, explique Geneviève Alarie, ça s’est passé en 2002, quand Serge Denoncourt m’a offert le rôle d’Olive Houde dans Pied de poule. J’étais encore à l’École nationale, je ne rêvais pas d’une carrière en comédie musicale, mais j’aimais chanter, et surtout, j’étais prête à relever tous les défis qui se présentaient à moi. » Au cours des 20 dernières années, grâce à Denise Filiatrault, à René Richard Cyr et à Serge Denoncourt, les trois femmes ont pris part à 12 comédies musicales !

Irrésistible orpheline

 

Cet été, Juste pour rire a jeté son dévolu sur Annie, une comédie musicale créée sur Broadway en 1977 avant d’être adaptée au cinéma en 1982, pour la télévision en 1999, et à nouveau pour le grand écran, mais avec moins de succès, en 2014. En décembre dernier, sur les ondes de NBC, on a mêmeeu droit à une version diffusée en direct. En près d’un demi-siècle et un nombre incalculable de productions, l’engouement international pour l’attachante orpheline n’a pas faibli, bien au contraire. Après avoir occupé le théâtre St-Denis, le spectacle réunissant 24 interprètes sous la houlette de Serge Denoncourt sera présenté à Québec, à la salle Albert-Rousseau.

« C’est le film de ma vie, lance avec enthousiasme Geneviève Alarie à propos du long métrage sorti en 1982. Je l’écoutais chaque année dans le temps des Fêtes. J’étais insatiable. Vous n’allez probablement pas me croire, mais mon personnage préféré, celui qui me fascinait, sans que je comprenne vraiment qu’elle était presque toujours saoule, c’était Miss Hannigan. Quand Serge m’a appelé pour me demander d’auditionner pour le rôle de la tyrannique directrice de l’orphelinat, j’étais tellement folle de joie que je ne l’ai même pas laissé parler. C’est comme si on avait proposé Luke Skywalker au plus grand admirateur de Star Wars. C’est un cadeau extraordinaire. »

En quête d’une vie meilleure

Alors qu’Émily Bégin incarne la malhonnête et peu raffinée Lily St. Regis, Véronique Claveau campe la calme et distinguée Grace Farrell. Entre les trois personnages, des femmes qui vivent à New York en 1933, on peut établir un lien assez flagrant : toutes trois cherchent à s’affranchir de leur condition, à améliorer leur sort, à accéder à une vie meilleure ; une quête qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler celle de la petite héroïne au coeur du spectacle.

« Ce sont des femmes très différentes, affirme Véronique Claveau. Elles ont des vies très distinctes, mais elles rêvent toutes les trois de plus, de mieux, d’autre chose que ce qu’elles connaissent. » Précisons que les trois femmes sont dépendantes du bon vouloir des hommes, qu’elles sont soumises à leur pouvoir. « Ça ne se passe pas en 2022, reconnaît Émily Bégin. On n’a donc pas cherché à commenter l’action depuis notre époque. On se contente de trouver la justesse de ce qu’on a à jouer. » « Il y a deux ou trois moments qui pourraient susciter des réactions, estime Geneviève Alarie. Ce sera certainement au public de mesurer le chemin qui a été parcouru depuis 1933. »

Une orpheline parmi tant d’autres

L’action d’Annie se déroule à New York, en 1933, en plein durant la Grande Dépression. Dans son orphelinat, Annie a une vie dure, mais elle continue d’espérer que demain, ses parents viendront la chercher. Invitée à vivre une semaine dans la résidence de luxe d’un milliardaire en mal de bonne publicité, la fillette pourrait bien voir son destin changer du tout au tout.

D’Oliver Twist à Harry Potter, en passant par Tom Sawyer, Anne Shirley et Jane Eyre, sans oublier Aurore, la figure de l’orphelin est récurrente dans la littérature, aussi bien que sur les écrans et sur les scènes. « L’orphelin attire spontanément la sympathie, explique Yves Morin, professeur au Conservatoire d’art dramatique de Montréal et spécialiste de la comédie musicale. Les enfants sont déjà des êtres vulnérables, alors l’enfant sans famille l’est encore plus. Par sa nature même, l’orphelin donne de nombreux ressorts dramatiques aux auteurs : quelles épreuves devra-t-il surmonter ? Est-ce qu’il retrouvera sa famille ou est-ce qu’il en composera une nouvelle ? La page est blanche pour lui, tout est possible. »

Dans la comédie musicale, on trouve plus d’orphelins qu’ailleurs : Frozen, Aladdin, Little Shop of Horrors, Notre-Dame de Paris, Oliver !, Peter Pan, The Secret Garden, Les misérables, Newsies, Dear Evan Hansen, Hamilton, Lion King, The Sound of Music… « Les comédies musicales ont une fonction rassembleuse, rappelle Yves Morin, elles s’adressent au grand public, c’est pourquoi la question de l’appartenance à la famille y est récurrente. Même les comédies musicales sans enfants se rattachent souvent au thème de la famille recomposée. Je pense notamment à Rent, à Kinky Boots ou encore à Priscilla, Queen of the Desert. »

Le deuil prématuré d’une mère ou d’un père étant probablement le plus important défi à surmonter, le statut d’orphelin permet de créer un traumatisme fondamental chez le héros. « Toute comédie musicale doit trouver son “lyrisme”, explique Yves Morin. La question qu’on se pose tout le temps en écrivant ou en montant une comédie musicale, c’est : pourquoi est-ce que le personnage chante ? Et la réponse est bien souvent : parce que ce qu’il vit est plus grand que lui-même. Un enfant sans parents aura toujours une bonne raison de chanter. »


Annie (version française)

Musique : Charles Strouse. Paroles : Martin Charnin. Livret : Thomas Meehan. Traduction : Serge Denoncourt et Manuel Tadros. Mise en scène : Serge Denoncourt. Une production de Juste pour rire. Au théâtre St-Denis 1 du 22 juin au 24 juillet, puis à la salle Albert-Rousseau du 12 août au 4 septembre.



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