Le Festival de Trois - Impuissance et lucidité
La troisième lecture du Festival de Trois s'est déroulée sous les signes conjugués de la confidence, de la frustration, de l'impuissance, de la lucidité et du souvenir.
Un jeune homme, Adriaan Dehollander, a jeté de l'acide sur la Ronde de nuit, de Rembrandt. Comme pour tous les crimes patrimoniaux, il n'aura qu'à s'acquitter d'une amende, probablement trop peu élevée pour être dissuasive, si l'on se fie à ce qui arrive en pareils cas dans la réalité. L'affaire pourrait donc être classée et pourtant non. Le restaurateur du musée hollandais doit voir le malfaiteur. Pour bien mener à bien sa tâche, il doit se rassurer, constater que l'homme qui a commis le délit qu'il doit réparer n'est pas habité de réelle méchanceté. Une réunion officieuse sera donc tenue, en fin de soirée, où figureront, outre les deux hommes, le conservateur du musée et son amie journaliste. Y seront discutés de multiples sujets, de façon un peu décousue, suivant le rythme d'une véritable conversation qui s'étiole au fil de la nuit, mais pleine de propos extrêmement éclairés.Le texte de François Godin est lent, tranquille et rempli de digressions, si bien qu'on serait tenté de dire qu'il conviendrait davantage à l'écrit qu'à l'oral, qu'il vaudrait mieux le lire pour soi que de l'entendre lire. C'est cependant sans compter la qualité de la lecture offerte par les comédiens dirigés par Alice Ronfard. Si David Boutin irradiait la scène d'une présence troublante, si Jacques Lavallée mordait à pleines dents dans le texte cinglant de son personnage et si Albert Millaire hypnotisait la salle de sa voix et de la sensibilité mystérieuse caractéristique à son rôle, Louise Marleau était parfaite.
Intellectuelle en vue, séduisante malgré les nombreuses années vécues, son personnage est le type même de la femme dont la vie est enviable, mais vaine. Elle accumule les amants, vit sur une maison flottante et ne s'éreinte pas au travail, n'apportant plus aucune idée originale à quelque débat social que ce soit, n'étant plus, selon ses propres dires, «qu'une courroie de transmission». Elle se remémore ses souvenirs et, pour tirer encore quelque lustre de son passé et de sa personne, en fait part aux convives de la réunion improvisée.
Au fond, il est possible de dire qu'elle représente ce que Dehollander voulait dénoncer en détruisant le Rembrandt: le tableau ne tenait plus que grâce au vernis dont on l'enduisait constamment pour qu'il demeure toujours aussi important qu'au temps où il a révolutionné l'art, pour qu'il demeure un point de mire malgré le temps qui passe et qui veut l'effacer pour faire place à l'art neuf et porteur d'innovation.
La mise en lecture de Ronfard était des plus sobres et sa direction d'acteurs impeccable. Toutefois, le rythme lancinant que commandait cette conversation nocturne sans grand enthousiasme entre individus tous blasés donnait au spectateur l'impression de se trouver dans la salle depuis une éternité. Ainsi, le texte aurait pu être légèrement écourté. Tout de même, il convient de classer cette lecture parmi les réussites du festival et l'auteur du texte parmi les créateurs à surveiller.
La semaine prochaine, Jean Marchand et Françoise Faucher liront les extraits de la littérature de Marguerite Duras qu'ils ont choisis. D'un auteur inconnu mais talentueux, le public passera donc à un des piliers de la littérature française. Cette diversité est tout à l'honneur du festival.