«Pipeline»: Canal de communication

Il faut commencer par se réjouir que le Black Theatre Workshop, compagnie anglo-montréalaise qui se consacre à la diffusion d’œuvres issues de la communauté noire depuis plus de 50 ans, se produise enfin entre les murs d’un théâtre francophone.
Présenté à La Licorne, d’abord en anglais (une version que nous n’avons pas vue), puis ces jours-ci en français (une traduction de Mishka Lavigne), dans la même mise en scène et avec la même distribution, le spectacle s’intitule Pipeline.
Créée à New York en 2017, la pièce de l’Américaine Dominique Morisseau n’a rien à voir avec le transport du pétrole ou du gaz naturel. Son titre fait plutôt référence à la « canalisation » qui semble guider directement un grand nombre de jeunes exclus, principalement noirs, du système scolaire vers la prison.
La réalité des jeunes
Il est donc question de la manière dont certaines écoles, qu’elles soient publiques ou privées, misent sur la discipline et la répression, s’avèrent insensibles à la réalité des jeunes, quand elles ne font pas carrément de la discrimination. Ces politiques teintées de préjugés ont de lourdes conséquences aux États-Unis, mais au Québec également.
C’est l’histoire d’Omari (Grégory Yves), un jeune homme aux prises avec une mère surmenée (Jenny Brizard) et un père violent (Jean Bernard), des parents divorcés pour le moins inadéquats. Même sa copine (Gloria Mampuya), qui l’aime follement, ne parviendra pas à apaiser la rage qui couve en lui.
Un jour, en classe, interrogé avec insistance à propos d’un personnage de roman dans lequel il se reconnaît trop bien et à propos duquel il n’a pas du tout envie de donner son avis, l’adolescent voit rouge et pousse son professeur contre le mur.
Un événement qui pourrait avoir de graves répercussions sur le destin d’Omari.
Un ton didactique
Soyons clairs, les thèmes retenus par la dramaturge née en 1978 sont profonds, importants, cruciaux même, mais son récit est alourdi par un ton didactique et une dramaturgie prévisible, des dialogues si explicites, si redondants, si verbeux qu’on met presque deux heures à raconter une histoire qui aurait très bien pu se déployer en 60 ou 75 minutes.
Malgré de pertinents emprunts au Native Son de Richard Wright, un roman paru en 1940, et à We Real Cool, un poème de Gwendolyn Brooks publié en 1960, la pièce se contente d’aborder son sujet plutôt que de le transcender.
Les enjeux soulevés
La mise en scène de la Torontoise ahdri zhina mandiela n’arrange rien en multipliant les changements de décor inutiles, tohu-bohu de chaînes qu’on agite, de rideaux qu’on tire et de boîtes en bois qu’on renverse. L’interprétation est à l’avenant, souvent caricaturale, notamment dans les scènes impliquant la professeure blanche excédée (Anie Pascale) et le gardien de sécurité charmeur (Schubert Pierre-Louis).
Tout de même, les enjeux sont soulevés, la nécessité de réviser le système est illustrée et un pont a été jeté entre des communautés qui ont bien besoin de se voir, de s’entendre et de se parler davantage.