«Akuteu»: trouver son clan

Intitulé Akuteu, mot innu qui veut dire « quelque chose qui est suspendu, accroché, juché », le premier texte de Soleil Launière s’appuie sur la métaphore de l’animal que l’on suspend pour le saigner. Le solo de 70 minutes traduit un vertige, un sentiment procuré par le vide, un tiraillement entre deux cultures, des contradictions avec lesquelles l’artiste pekuakamilnu, originaire de Mashteuiatsh, apprend à vivre, pour ainsi dire sous nos yeux.
Mis en scène par l’autrice et interprète, avec la complicité de Johanne Haberlin, le spectacle marque le début d’une résidence de deux créations à la salle Jean-Claude-Germain. Depuis une plateforme inclinée, ajourée, probablement le quai d’où s’amorce la traversée, Launière prend la parole : « Là, je m’ouvre la gueule. J’ouvre ma gueule de wild beast, de sauvage, de wapush, de corbeau. Pour vous le dire, ce qui crie en dedans. J’essaie. Parce que je vous aime ben. »
Deux tons bien distincts
De l’enfance à l’âge adulte, du mutisme qui inquiète les parents à la poésie qui se déploie souverainement, de la culture innue à celle des Blancs, l’artiste aborde avec détermination l’ensemble de ce qui la constitue. Son monologue entrelace deux tons bien distincts. Le premier, appelons-le celui de la confession, permet à Launière de parler directement à son public, de partager ses convictions et ses doutes, de rendre des hommages et d’adresser des reproches. Il y a là de la colère, de l’angoisse, de la lucidité, mais aussi beaucoup d’humour.
« Je suis écœurée de la bullshit, des commentaires allochtones experts autochtones. Des gens qui m’apprennent ce qui se dit, ce qui se dit pas sur moi. […] Qui m’apprennent comment vivre ou mieux penser ma “condition”. C’est physique. Ça me fuck le brain. Mais faut ben se sentir valide un jour d’ouvrir sa trappe. Faque aujourd’hui, juste pour vous autres, je vas le faire. »
Puis, il y a l’autre ton, un registre où la langue et le corps se font plus poétiques, plus sacrés, des passages où l’artiste honore ses prédécesseures — à commencer par sa kukum, mère de 18 enfants —, mais aussi les femmes oubliées, disparues, bafouées et assassinées. « Je crie ma prière aux ancêtres. Âmes envolées par milliers. Enfances négligées. Ancêtres mort-nés. Rassemblons-nous. Droits comme les arbres. Je m’en remets au tambour, aux herbes tressées. Âmes envolées, vous n’êtes pas oubliées. »
Pour trouver son clan, s’expliquer à elle-même aussi bien qu’à son public, Soleil Launière relate les aventures les plus diverses : d’une audition infructueuse (« Je suis pas assez autochtone pour faire de la télé. ») à une incursion marquante dans une hutte à sudation (« J’essaie comme je peux de me reconnecter avec mes traditions ancestrales. »), en passant par une passion de jeunesse pour le film Pocahontas (« Probablement la première femme autochtone enlevée et assassinée. Devenue un objet, un objet de honte. »).
Le point de vue de Soleil Launière est non seulement valide, mais il est unique et nécessaire, donnant accès à une langue, à une expérience et à une sensibilité, une parole libre qui autorise beaucoup d’espoir pour la suite des choses.