«Le Scriptarium»: débattre autour d’un consensus

La justice a été le point de  départ de  cet exercice d’écriture, mais de façon plus précise, Louise Arbour tenait  à faire prendre conscience  aux jeunes  de la multiplicité des points de vue et des liens à établir avec la justice.
Valérian Mazataud Le Devoir La justice a été le point de départ de cet exercice d’écriture, mais de façon plus précise, Louise Arbour tenait à faire prendre conscience aux jeunes de la multiplicité des points de vue et des liens à établir avec la justice.

Concours d’écriture qui permet à des jeunes de l’école secondaire de voir leur création portée à la scène par des professionnels, le Scriptarium est, chaque année, chapeauté par un commissaire, sorte de mentor, qui invite les adolescents à réfléchir et à écrire autour d’un sujet. Cette année, la délicate et importante notion de justice a été décortiquée par les jeunes auteurs sous l’œil de l’honorable Louise Arbour.

C’est non sans effort que Monique Gosselin, codirectrice artistique du Théâtre Le clou, a réussi à convaincre l’ex-juge à la Cour suprême du Canada de se joindre à cette aventure théâtrale. Non pas parce que le projet ne l’intéressait pas, mais plutôt parce que, nous confie la juriste au téléphone, elle ne s’y connaissait pas dans ce genre de processus : « Je ne me souviens plus exactement où j’en étais au moment où Monique Gosselin m’a appelée. Si j’étais très occupée ou pas trop, mais en tout cas, je lui ai dit franchement, moi, je ne connais rien là-dedans, les jeunes, l’écriture, mais elle était extrêmement convaincante [rire]. Alors, je me suis embarquée, mais sans savoir exactement comment ça marche, qu’est-ce que c’est exactement, ce truc-là. Et là, on va en voir le résultat jeudi », raconte-t-elle.

En arriver à un consensus

La justice a donc été le point de départ de cet exercice d’écriture, mais de façon plus précise, Mme Arbour tenait à faire prendre conscience aux jeunes de la multiplicité des points de vue et des liens à établir avec la justice. « J’ai l’impression, surtout de nos jours, que les gens se campent facilement dans une position, et on a peut-être un peu perdu l’habitude ou l’intérêt de se préoccuper de l’opinion des autres, de la considérer. Alors […], je voulais essayer d’amener les jeunes à possiblement défendre une position […], mais toujours dans un esprit d’ouverture vers la position contraire ou un point de vue complètement différent […]. C’est là que je voulais les amener. À lier l’idée de la justice à l’idée d’une multiplicité de points de vue. »

C’est ainsi, à partir de ce concept qui demande ouverture et tolérance, que les jeunes ont écrit. Des jeunes qui font preuve, selon Louise Arbour, d’une grande sensibilité à l’égard de la justice sociale. « Ce n’est pas surprenant, mais je trouve ça très encourageant. Ils ont beaucoup de sensibilité à l’égard de l’exclusion, au rejet de la différence. Je trouve ça admirable, cette sensibilité à la marginalisation et au fait qu’ils voient vraiment ça comme une injustice », explique-t-elle.

Par ailleurs, malgré une apparente ouverture des consciences et un accès facile aux multiples sources d’information, Louise Arbour souligne l’omniprésence du scepticisme dans nos sociétés. « Les gens ne savent pas quoi croire, parce que c’est n’importe quoi. Je pense qu’on l’a vu beaucoup sur le plan politique sous la présidence de Trump aux États-Unis, où il disait des choses manifestement fausses […]. Il décrivait les médias traditionnels — qui ont des garanties de crédibilité au moins sur les faits, ils ne sont pas parfaits — comme de la fausseté. » Ainsi, préoccupée par le manque de consensus autour des faits, Louise Arbour tenait à aiguiller les jeunes sur cette voie. « Oui, d’autant plus que je trouve que, dans le monde contemporain, on a aussi ses propres faits. Ça, c’est encore plus inquiétant. L’idée, c’est d’avoir un consensus sur la réalité, sur les faits et là, on peut avoir des opinions différentes sur les causes, les conséquences, les stratégies, les politiques. Mais là, on vit dans un monde où la réalité prétendument objective n’existe plus. Ce n’est pas ce que tu sais, c’est ce que tu crois qui devient ce que tu sais. Et ça, moi, je trouve ça un peu, en fait plus qu’un peu, alarmant. »

[Les jeunes] ont beaucoup de sensibilité à l’égard de l’exclusion, au rejet de la différence. Je trouve ça admirable, cette sensibilité à la marginalisation et au fait qu’ils voient vraiment ça comme une injustice.

L’importance des mots

Dans toute cette volonté d’écouter le discours de l’autre, de s’intéresser à son point de vue afin d’en arriver à un consensus, il reste un élément fondamental qui est celui des mots, du choix des mots lorsque vient le temps d’exprimer sa pensée, son point de vue, sa façon de voir le monde. « Ce que je trouve vraiment intéressant dans toute l’approche du Scriptarium, c’est la connexion entre les mots et les idées. Des fois, on a des idées et on cherche les mots pour le dire. D’autres fois, ce sont les mots qui nous donnent des idées. » Citant David Goudreault et sa Bête intégrale, la commissaire voit en lui un maître dans cet aller-retour inspirant. « Lui, c’est un champion des mots et des idées. Des mots qui vont chercher des idées, des fois saugrenues, mais tellement vraies. Son personnage, qui est inquiétant, dit à un moment donné : “personne m’écoute, je suis un malentendu”. C’est fort, hein ?! ! Pour moi, c’est ça, la relation entre les mots et les idées. »

Ce rapport ténu entre ces deux pôles de la communication, la commissaire a pu le voir dans le Scriptarium, dans le processus qui a mené les jeunes à jouer avec l’écriture, la parole, les idées, à retravailler, repenser, réécrire, ajuster le tout jusqu’à un résultat concluant. Le travail qui se fait entre l’impression, l’idée que l’on peut se faire d’une cause, qui peut être différente une fois qu’elle est couchée sur papier, une fois la réflexion poussée plus loin. « Aller chercher l’impression, bien comprendre ce qu’on veut dire et bien l’exprimer. Un exercice auquel certains adultes devraient se soumettre de temps en temps, ça ferait du bien à tout le monde ! » conclut-elle, sourire en coin.

 

Le Scriptarium

Textes : Tarek Beyaz, Maya Boissonneau, Chloé Brassard, Romane de Courville Nicol-Harvey, Sacha Fontaine, Lula Lepage, Rime Moussa et Mickaela Nduwimana. Commissaire invitée : Louise Arbour. Mise en scène : Monique Gosselin. Une production du Théâtre Le clou en collaboration avec le Théâtre Denise-Pelletier et le Théâtre jeunesse les Gros Becs. Présenté à la salle Fred-Barry du 28 avril au 6 mai, puis au Gros Becs du 11 au 13 mai.

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