«Le sexe des pigeons», l’union fait la force

Le théâtre peut-il intégrer le numérique, comme il a auparavant appris à le faire avec la vidéo ? Le sexe des pigeons propose en tout cas une expérience où le cellulaire devient un outil du récit, plutôt qu’une nuisance à bannir. Afin de séduire le public adolescent, accro aux petits écrans, le spectacle encourage l’accès à un réseau social créé spécifiquement.
Et pour les spectateurs « nés avant 1995 » (aïe !), présumés moins rapides avec la technologie, les publications numériques défilent aussi sur des écrans disséminés sur les murs.
Le spectacle, mis en scène par Gabrielle Côté et Laurence Régnier, investit une salle Fred-Barry vidée de tous ses sièges, où le public partage l’espace avec les interprètes.
Chacun dans son espace qui le définit — scénographie de Marie-Ève Fortier —, Billy (Evelyne Laferrière), Derek (Guillaume Gauthier) et l’enflammée Léo (Alice Dorval, sensible et vibrante) prennent successivement la parole pour révéler leurs préoccupations personnelles. Ces trois ados contrastés en viendront à se regrouper lorsque leur école traversera une crise, laquelle met en lumière ses problèmes d’insalubrité. Passant de l’isolement à la solidarité, les jeunes découvrent que l’union fait la force.
C’est avec cette alerte que la pièce s’anime et que l’expérience un peu plus déambulatoire débute. La tombée de rideau vient séparer les protagonistes (pas tant que ça, puisque la voix des interprètes tend à franchir ces barrières), entre lesquels on est invités à se promener. Le réseau social se met à bourdonner de messages, générateurs de malentendus, mais aussi d’une capacité à mobiliser.
Devant la teneur un peu trop banale (mais sans doute réaliste) des publications, on se demandait d’abord ce que la dimension numérique apportait vraiment. (Sans compter que cette scène où tous les personnages sont sur leur téléphone n’est pas terriblement théâtrale…).
Mais, au final, c’est moins leur contenu qui compte que cette image d’une collectivité que les messages finissent par dessiner.
Plaidoyer senti
Lui aussi fruit de la réunion d’un trio (Frédéric Blanchette, Véronique Côté et Marianne Dansereau), le texte réussit à évoquer plusieurs thèmes : intimidation, exclusion, préjugés, image corporelle, mais aussi la décrépitude qu’on tolère dans les écoles. Et il culmine sur un plaidoyer très senti. Quelque chose comme le manifeste d’une génération.
Le spectacle séduit aussi par le parcours qu’il fait traverser, en transformant un peu en cours de représentation sa forme et les espaces qu’il occupe. Signalons une finale très réussie, au caractère festif, jouée par Sabri Attalah. Une conclusion qui projette ses protagonistes dans l’avenir — un peu à la manière de celle de la télésérie Six Feet Under —, leur offrant des destins inventifs et touchants.