Théâtre - L'hiver en terrasse
À en croire plusieurs, les gens d'ici sont moins venus vivre sur un bout de terre que dans un climat. Gilles Vigneault a vu dans cette obsession bien québécoise du temps qu'il fait le ciment avec lequel on bâtit les pays. Moins lyrique, l'auteur dramatique Olivier Choinière ne décèle dans notre relation à l'hiver et à la météo en général rien de moins qu'une tragédie. Mais une tragédie dont nous pouvons rire. Dans les parages, comme chacun sait, péché rigolé est à moitié pardonné. L'humour permet ici au tragique hors de saison des révélations bien senties. Se cache, à son avis, sous notre attachement excessif aux prévisions météo, notre incapacité de vivre dans le présent.
Ce n'est pas seulement une belle thèse, mais elle est superbement développée par l'auteur d'Autodafé. Dans la parodie certes. Après tout, nous ne sommes pas conviés pour rien à un théâtre d'été urbain de série H sur la terrasse du Théâtre d'aujourd'hui. Encore qu'en se frottant à la tragédie, comme Tremblay et Ducharme avant lui, Choinière est loin d'en évacuer la dimension sérieuse. Par exemple, il a le culot de greffer à cet emploi du choeur et aux invocations des dieux antiques le ton revendicateur propre aux créations collectives des années 1970. Influences variées mais surtout parfaitement digérées qui font de sa Jocelyne est en dépression un cocktail baroque à haute teneur ironique.C'est aussi que Choinière ne craint pas de filer la métaphore et de marier des univers discordants avec une licence poétique des plus élastique. Non seulement a-t-il du souffle — il en faut pour mener à terme ce long plaidoyer d'Évelyne en faveur de l'hiver qui constitue l'essentiel de la pièce — mais encore manie-t-il la rhétorique et les niveaux de langue avec une virtuosité et une musicalité constantes. Des apostrophes les plus variées aux imprécations grandiloquentes en passant par le bon sens revisité du genre «la vérité n'est pas facile à dire, surtout en ondes».
En tant que metteur en scène, l'auteur privilégie un théâtre-tribune. Pour cela, ses acteurs sont plantés devant une pittoresque reconstitution de Montréal, piquée de simili-étoiles. Leurs gestes réglés ponctuent la plupart du temps l'élan de leurs discours que soutient de plus une bande-son omniprésente. Il flotte pourtant sur ce carton-pâte des vestiges de sacré bien dérisoires. Le même kitsch caractérise les costumes d'Anna Pollack qu'on dirait tout droit sortis des premiers films de Gilles Carles.
Des cinq comédiens réunis pour jouer cette partition irrévérencieuse, trois se distinguent particulièrement. Membre du choeur, Céline Brassard campe avec assurance une boulotte à lunettes d'une fatuité presque moliéresque. En lectrice de nouvelles menacée par la remplaçante météo, Valérie Cantin (Aline) s'oppose avec vigueur à celle-ci. Épatent surtout les réelles intonations tragiques de sa voix, fort habilement récupérées pour créer du pathos sur commande. Il émane enfin de Simone Chevalot, dans le rôle exigeant d'Évelyne, une étrangeté, non dénuée de gaillardise, lui permettant de distiller à petites gouttes la dense charge critique de monologues démesurés.
En fait, mon seul regret relativement à la déification précoce de Jocelyne Blouin, météorologue bien connue de Radio-Canada, auquel procède Choinière pour étayer des préoccupations bien plus substantielles, vient de ce qu'elle risque de ne toucher qu'un public choisi. Public tout à fait à l'opposé du peuple de «chialeux», apathiquement assis devant la télé, que l'auteur dépeint. Qui permettra à ce théâtre corrosif de sortir de la clandestinité d'une terrasse trop haut perchée? Je ne suis pas devin, hélas! Entre-temps, profitez de l'éclaircie pendant qu'elle se montre.