Donner au suivant

«J’aimerais que ce soit une personne à l’écoute de son milieu et qui soit inclusive, qui rêve… Et qui fasse attention au monde», explique Mme Olivier en décrivant la personne qui lui succédera.
Photo: Francis Vachon Le Devoir «J’aimerais que ce soit une personne à l’écoute de son milieu et qui soit inclusive, qui rêve… Et qui fasse attention au monde», explique Mme Olivier en décrivant la personne qui lui succédera.

Neuf saisons après qu’elle eut pris la direction artistique et la codirection générale du Trident, Anne-Marie Olivier passe le flambeau, et revient sur près de dix ans à la barre de l’institution théâtrale.

Celle qui présentera aujourd’hui sa dernière programmation espère avoir offert plus de souplesse dans la façon de faire certains spectacles, notamment ; plus d’ouverture, aussi, avec entre autres la tenue d’auditions ouvertes. « Et j’ai tenu à réchauffer l’institution de l’intérieur — ne pas avoir d’artistes qui viennent “puncher”. Plutôt, j’ai voulu des artistes qui venaient ici et s’engageaient dans leur proposition artistique comme ils s’engageraient dans un autogéré à Premier Acte ou ailleurs. »

En près d’une décennie, le milieu théâtral aura connu plus largement de nombreuses mutations, auxquelles espère avoir contribué cette créatrice soucieuse d’amarrer l’institution aux « transformations du monde » et de proposer des contenus « citoyens ».

L’un des changements notables : la représentativité. « Il y a eu beaucoup de femmes à des postes de pouvoir, en mise en scène et au texte. » Si les deux dernières années de pandémie ont rendu l’équité souhaitée plus difficile à atteindre, le Trident a su s’inscrire dans cette mouvance du milieu théâtral : « Pendant des années, c’était un public majoritairement féminin qui regardait des productions dirigées majoritairement vers des hommes. Là-dessus, on se rend compte que le monde et la pratique changent. »

La collaboration entre les différents théâtres, aussi, s’est accrue pendant son mandat — si bien qu’il est devenu usuel désormais d’entendre un théâtre annoncer, au début d’une représentation, les autres spectacles à l’affiche à Québec. Plus large, cette collaboration touche aussi à un meilleur partage des ressources. Son souci pour la prochaine génération aura par ailleurs été marqué : « Une institution comme la nôtre, qui destine ses contenus aux adultes, doit faire de la place aux enfants. » Son mandat a en ce sens vu la création des Étincelles de la créativité, des ateliers de création pour les 4 à 14 ans liés à un spectacle auquel assistent les parents.

Fille d’enseignants, elle restera d’ailleurs habitée par ce désir, par-delà le poste qu’elle cède, de rendre accessible le sixième art : « Mon grand rêve serait la médiation et la culture à l’école : ça, ce serait le jackpot. Et pas nécessairement pour former des artistes. C’est juste que le cerveau créatif est utile pour tant de choses : on y apprend l’empathie, la résilience, la débrouillardise, la créativité… »

La pandémie n’aura joué aucun rôle, au contraire, dans sa décision de céder les rênes de ce « poste de pouvoir », qui doit à son avis être partagé. L’envie surtout de revenir à des projets créatifs personnels, en jachère forcée depuis sa prise de poste en décembre 2012, la tenaillait depuis un moment déjà. La saison 2020-2021, qui marquait le 50e anniversaire du Trident, aura amené un report, l’institution l’invitant à prolonger son séjour ; et la pandémie qui s’est étirée, avec ses incertitudes sur les arts vivants, aura rendu difficile un départ déjà décidé.

Or la pression se desserre : « Et la fréquentation en salle est vraiment au-delà de ce qu’on espérait. » D’où la possibilité de revenir vers sa compagnie de création Bienvenue aux dames !, pour celle qu’on verra par ailleurs dans La paix des femmes à La Bordée, l’automne prochain.

Succession à venir

Quant à la personne qui lui succédera, si la question n’est plus entre ses mains, Anne-Marie Olivier aimerait néanmoins être « surprise ». « Dans les dernières années, une chose très chouette qui est survenue au Québec, c’est l’arrivée de Jean-Simon Traversy et de David Laurin à Duceppe », cela alors que le Périscope accueillait récemment Gabrielle Ferron et Samuel Corbeil à sa coordination artistique. Une telle direction artistique bicéphale implique « un dialogue, des compromis, mais aussi des rêves communs ; et parfois, un rêve peut prendre de l’ampleur au contact d’un autre cœur ».

Pas question toutefois de préciser davantage ses attentes pour celle qui dit avoir travaillé « comme une folle » dans l’institution du Grand Théâtre. Elle se permet un seul vœu pour la suite, dans la veine du visage humain qu’elle a cherché à incarner : « J’aimerais que ce soit une personne à l’écoute de son milieu et qui soit inclusive, qui rêve… Et qui fasse attention au monde. Ça reste une structure hiérarchique, on ne se le cachera pas ; je pense néanmoins qu’il est possible de gérer une hiérarchie de façon humaniste… Ce serait peut-être mon seul souhait. »

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