Donner au suivant

Neuf saisons après qu’elle eut pris la direction artistique et la codirection générale du Trident, Anne-Marie Olivier passe le flambeau, et revient sur près de dix ans à la barre de l’institution théâtrale.
Celle qui présentera aujourd’hui sa dernière programmation espère avoir offert plus de souplesse dans la façon de faire certains spectacles, notamment ; plus d’ouverture, aussi, avec entre autres la tenue d’auditions ouvertes. « Et j’ai tenu à réchauffer l’institution de l’intérieur — ne pas avoir d’artistes qui viennent “puncher”. Plutôt, j’ai voulu des artistes qui venaient ici et s’engageaient dans leur proposition artistique comme ils s’engageraient dans un autogéré à Premier Acte ou ailleurs. »
En près d’une décennie, le milieu théâtral aura connu plus largement de nombreuses mutations, auxquelles espère avoir contribué cette créatrice soucieuse d’amarrer l’institution aux « transformations du monde » et de proposer des contenus « citoyens ».
L’un des changements notables : la représentativité. « Il y a eu beaucoup de femmes à des postes de pouvoir, en mise en scène et au texte. » Si les deux dernières années de pandémie ont rendu l’équité souhaitée plus difficile à atteindre, le Trident a su s’inscrire dans cette mouvance du milieu théâtral : « Pendant des années, c’était un public majoritairement féminin qui regardait des productions dirigées majoritairement vers des hommes. Là-dessus, on se rend compte que le monde et la pratique changent. »
La collaboration entre les différents théâtres, aussi, s’est accrue pendant son mandat — si bien qu’il est devenu usuel désormais d’entendre un théâtre annoncer, au début d’une représentation, les autres spectacles à l’affiche à Québec. Plus large, cette collaboration touche aussi à un meilleur partage des ressources. Son souci pour la prochaine génération aura par ailleurs été marqué : « Une institution comme la nôtre, qui destine ses contenus aux adultes, doit faire de la place aux enfants. » Son mandat a en ce sens vu la création des Étincelles de la créativité, des ateliers de création pour les 4 à 14 ans liés à un spectacle auquel assistent les parents.
Fille d’enseignants, elle restera d’ailleurs habitée par ce désir, par-delà le poste qu’elle cède, de rendre accessible le sixième art : « Mon grand rêve serait la médiation et la culture à l’école : ça, ce serait le jackpot. Et pas nécessairement pour former des artistes. C’est juste que le cerveau créatif est utile pour tant de choses : on y apprend l’empathie, la résilience, la débrouillardise, la créativité… »
La pandémie n’aura joué aucun rôle, au contraire, dans sa décision de céder les rênes de ce « poste de pouvoir », qui doit à son avis être partagé. L’envie surtout de revenir à des projets créatifs personnels, en jachère forcée depuis sa prise de poste en décembre 2012, la tenaillait depuis un moment déjà. La saison 2020-2021, qui marquait le 50e anniversaire du Trident, aura amené un report, l’institution l’invitant à prolonger son séjour ; et la pandémie qui s’est étirée, avec ses incertitudes sur les arts vivants, aura rendu difficile un départ déjà décidé.
Or la pression se desserre : « Et la fréquentation en salle est vraiment au-delà de ce qu’on espérait. » D’où la possibilité de revenir vers sa compagnie de création Bienvenue aux dames !, pour celle qu’on verra par ailleurs dans La paix des femmes à La Bordée, l’automne prochain.
Succession à venir
Quant à la personne qui lui succédera, si la question n’est plus entre ses mains, Anne-Marie Olivier aimerait néanmoins être « surprise ». « Dans les dernières années, une chose très chouette qui est survenue au Québec, c’est l’arrivée de Jean-Simon Traversy et de David Laurin à Duceppe », cela alors que le Périscope accueillait récemment Gabrielle Ferron et Samuel Corbeil à sa coordination artistique. Une telle direction artistique bicéphale implique « un dialogue, des compromis, mais aussi des rêves communs ; et parfois, un rêve peut prendre de l’ampleur au contact d’un autre cœur ».
Pas question toutefois de préciser davantage ses attentes pour celle qui dit avoir travaillé « comme une folle » dans l’institution du Grand Théâtre. Elle se permet un seul vœu pour la suite, dans la veine du visage humain qu’elle a cherché à incarner : « J’aimerais que ce soit une personne à l’écoute de son milieu et qui soit inclusive, qui rêve… Et qui fasse attention au monde. Ça reste une structure hiérarchique, on ne se le cachera pas ; je pense néanmoins qu’il est possible de gérer une hiérarchie de façon humaniste… Ce serait peut-être mon seul souhait. »