Jeune femme en colère

En entrevue, Gabrielle Lessard confiait à un collègue avoir écrit sa pièce avant la pandémie. La blessure — qui reprend à l’Espace libre après une interruption due à la COVID — trouve toutefois un terreau fertile pour ses thématiques dans le portrait social actuel. Polarisation exacerbée, méfiance envers les institutions, convictions idéologiques si ancrées qu’elles deviennent des dogmes identitaires. Et l’incapacité du dialogue qui en résulte.
La conscience peut-elle être excessive ? La protagoniste de cette pièce, dont le titre semble renvoyer à la fameuse citation de René Char (« la lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil »), souffre d’une écoanxiété extrême. Produits cancérigènes, polluant l’environnement ou exploitant les travailleurs : pour Anne, journaliste surinformée, tout geste anodin du quotidien peut avoir des conséquences délétères.
Lorsqu’elle refuse la chimiothérapie pour soigner un cancer du sein, en dénonçant Big Pharma, la fracture avec son entourage se révèle. S’ensuit une confrontation avec ses proches, tannées de se faire culpabiliser par ses principes stricts, dont sa conjointe (Eve Duranceau), qui travaille en publicité, et sa sœur, une chic avocate (Lamia Benhacine). Bref, des femmes qui évoluent dans le système qu’Anne rejette et pour qui cette querelle va être l’occasion de laisser voir leurs propres doutes ou fragilités.
Interrogations porteuses
En quoi nos actions individuelles sont-elles responsables des problèmes collectifs que nous vivons ? Jusqu’où l’engagement doit-il aller ? Les questions qu’ouvre la dramaturge sont pertinentes. Et entre l’attitude moralisatrice, le parti du déni ou la difficulté de renoncer à un certain mode de vie, sa pièce expose diverses postures contemporaines. Une charge critique qui passe à travers un ton surtout humoristique.
Le spectacle, porté par une distribution cohésive, comporte de bons moments. On retient notamment la visite vraiment drôle d’Anne à une consœur (jouissive Catherine Bouliane), à qui elle donne un complexe d’infériorité, ainsi que l’amusant soliloque de la mère (la merveilleuse Monique Spaziani).
Pas sûr, toutefois, qu’on se reconnaisse nécessairement dans ce portrait divertissant, mais plutôt outré. La protagoniste (Marie-Anick Blais, qui embrasse avec entièreté son personnage) quant à elle paraît d’abord plutôt insupportable et n’inspire guère la sympathie, malgré sa souffrance et ses bonnes intentions. Heureusement que quelques monologues donnent davantage accès à son intériorité.
Dommage que la pièce semble se terminer en queue de poisson. Mais peut-être faut-il y voir une indication du cul-de-sac où nous conduisent les clivages sociaux ainsi exposés, de l’impasse où mènent l’attitude de jugement et le manque d’écoute qui caractérisent trop souvent nos débats.