Pour une scène artistique en phase avec sa société

Rose Carine Henriquez
Collaboration spéciale
L'équipe derrière le Théâtre de La Sentinelle. De gauche à droite: Lyndz Dantiste, Tatiana Zinga Botao et Philippe Racine.
Photo: Jorge Camarotti L'équipe derrière le Théâtre de La Sentinelle. De gauche à droite: Lyndz Dantiste, Tatiana Zinga Botao et Philippe Racine.

Ce texte fait partie du cahier spécial Théâtre

En novembre dernier, le Conseil québécois du théâtre (CQT) faisait paraître un rapport de recherche sur la présence des artistes autochtones et de la diversité dans les productions théâtrales du Québec. Selon le président du comité Théâtre et diversité culturelle du CQT, Charles Bender, il y a un mouvement qui s’amorce, mais il reste encore des défis à relever.

Sur scène, le changement est plus apparent, selon lui. « Je pense que le premier geste qui est fait se veut un geste d’éclat, on veut que les gens s’en rendent compte, avance-t-il. Sion fait entrer quelqu’un de la diversité dans son conseil d’administration, ça ne paraît pas. Il y a un avantage à d’abord passer par la scène. »

Toutefois, il existe le piège de toujours faire appel aux mêmes personnes. C’est une des raisons d’être du Théâtre de La Sentinelle, la seule compagnie francophone professionnelle dirigée par des personnes afro-descendantes canadiennes, fondé en 2017 par les comédiens Lyndz Dantiste et Tatiana Zinga Botao, et auquel s’est joint Philippe Racine comme directeur artistique.

« Lorsque nous avions obtenu nos diplômes, Lyndz et moi, des rôles à la hauteur de notre talent étaient inexistants, mentionne Tatiana Zinga Botao.Avec la compagnie, on voulait non seulement travailler, mais aussi être vus. »

Au-delà de la scène

Même si la présence sur scène des personnes issues de la diversité est applaudie, il ne faut pas s’arrêter là. Pour Charles Bender, la scène doit être une porte d’entrée et non la finalité. En effet, au-delà de l’interprétation, il y a aussi l’écriture, la mise en scène ou la conception qui demandent à être investies. « On continue à faire confiance aux gens qu’on connaît et ça va probablement prendre du temps si on ne met pas tout de suite les efforts pour développer et reconnaître les compétences des personnes issues de la diversité. »

Pour le Théâtre de La Sentinelle, trouver un metteur en scène noir a été un véritable défi, ce qui souligne l’importance de s’approprier tous les corps de métier. « L’histoire ne se raconte pas seulement avec les textes et les comédiens, elle se raconte aussi avec la décoration, la lumière, la conception sonore, les costumes. C’est un tout, affirme Tatiana Zinga Botao. C’est ce qu’on essaie de faire avec La Sentinelle, ouvrir la voie à toutes ces possibilités. »

L’enjeu de la formation

Pour Charles Bender, les blocages débutent dès la formation. « Si les écoles de théâtre n’encouragent pas [la diversité] au sein de leur cohorte, on perd tous ces talents, déclare-t-il. Il faut ouvrir ses horizons de ce côté, et seulement alors on commencera à voir la levée d’une génération de diversité qui va être intéressante. Ce qui va ouvrir aussi les portes à ceux qui sont déjà dans le métier. »

Pour Tatiana Zinga Botao, qui enseigne à l’École nationale de théâtre du Canada depuis 2021, il faut travailler à rendre la culture plus accessible. « C’est aussi ce qu’on veut déconstruire avec La Sentinelle, on ne veut pas juste représenter les gens sur scène, mais on veut aussi travailler en amont, affirme-t-elle. On dit que ça n’intéresse pas les autres communautés, alors il faut aller les chercher. » Selon la comédienne, les écoles sont prêtes à opérer des changements dans leurs pratiques et à s’ouvrir aux différents bagages culturels.

La diversité de genre au théâtre

 

En plus des communautés culturelles, la visibilité concerne également les artistes queers. Ayant commencé l’exploration de son identité de genre en 2018, Lé Aubin, qui se présente aujourd’hui comme un artiste non binaire, ne trouvait pas beaucoup de modèles. Une réalité qui tend légèrement à changer.

Photo: Éva-Maude TC Lé Aubin

« Les communautés marginalisées prennent la parole depuis longtemps, mais tout d’un coup, on se met à leur accorder plus de place, note l’artiste. Je dis qu’il était temps et il faut en profiter pour nous faire connaître. »

Évoluant principalement dans la ville de Québec, Lé Aubin croit qu’il y a une différence entre les différentes régions en raison de leur unicité. De son expérience, « les réels safe spaces sont plutôt rares, bien qu’existants. Les choses ont évolué rapidement dans les dernières années, mais on en est encore aux premiers pas, aux premières fois. On doit continuer d’avancer dans ce sens pour faire tomber les préjugés, les clichés et avoir accès à plus de nuances. »

Selon l’artiste, la création peut également servir de moteur de changement dans un monde artistique où trop souvent on impose une binarité aux personnages. « Je pense qu’il y a une responsabilité comme créateur d’écrire ces personnages-là, puis d’aller à la rencontre des personnes qui peuvent les interpréter, qui leur donneront un souffle plus juste. J’ai envie d’arriver avec certaines propositions, avec cette envie de jouer avant tout un humain, je pense qu’on peut avoir de l’imagination par rapport à ce qui se trouve entre les deux. »

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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