Une ovation écrite
Dramaturge et autrice

Ce texte fait partie du cahier spécial Théâtre
Dans le cadre de la Journée mondiale du théâtre, Rébecca Déraspe, dramaturge et autrice de plusieurs pièces jouées et traduites à travers le monde, signe le Message québécois du théâtre, dont la rédaction est confiée chaque année à une personnalité du milieu.
C’est pas pour rien que depuis le VIe siècle avant Jésus-Christ des citoyens se rassemblent quelque part pour vivre des choses ensemble. Je sais pas si Daphnis pis Tullia potinaient en fumant des clopes avant d’entrer dans l’agora. Je sais pas si le théâtre d’Épidaure avait une politique d’annulation ou une liste d’invitation pour les premières. Pis je sais même pas si les Dionysies champêtres avaient un directeur artistique photogénique pour représenter la ligne directrice du festival.
Mais ce que je sais, c’est que quelque chose avait à se vivre de cette façon-là. Daphnis pis Tullia avaient besoin de se réunir dans un silence relatif pour se prendre du dramaturgique dans le plexus. Je sais pas pour vous, mais moi j’adore vivre ma catharsis à plusieurs. Pis ce que j’aime encore plus, c’est l’exaltation d’une foule qui se lève après avoir respiré en quintette. Est-ce que c’est ça, la magie du théâtre ? Respirer à plusieurs les affres de nos humanités ?
La puissance d’une ovation, ça ressemble à une prière qu’on envoie vers l’avenir.
Donc.
C’est la Journée mondiale du théâtre. Sa fête. Ou en tout cas. Je sais pas si je dois parler de l’éléphant dans la pandémie. Je sais pas quoi faire de ces deux années qui ont abîmé mes collègues, mes ami·es, mes précieux, mes précieuses. Mais aujourd’hui, je choisis le bruit d’une ovation écrite.
Faut le faire pour vrai
Se mettre la face dans le monde avec une bienveillance qu’on invente pas juste pour l’image de celui pis celle qui fait « comme y faut »
J’ai envie qu’on attache le cynisme à un poteau électrique pis qu’on l’asperge d’acide
Pis après
Qu’on le regarde fondre en partageant quelque chose de notre vulnérabilité
Faut s’aimer entre nous
Gens du théâtre pis gens dedans les théâtres
Pis faudrait aussi tendre la main aux gens qui restent dehors des théâtres
Leur donner les moyens financiers
Leur donner l’envie
Sans se comporter en « Ceux qui Savent »
Faut que toutes les formes
Que les réalistes
Que les tragédies baroques
Que les boulevards éclatés
Que les docu-fictions
Que les docu-pas-fiction
Que les poétiques
Que les minimalistes
Que les solos
Que les « de l’ombre »
Que les « de l’image »
Que les récits
Que les jeunes publics
Que toutes les formes se fraient une place dans nos théâtres
Que les voix jeunes pis nouvelles
Soient traitées avec un respect admiratif
Que les voix établies continuent d’être entendues aussi
Pour construire à plusieurs en s’apprenant hier ou en rêvant demain
Que d’autres voix
Celles de ce qui est divers
Celles qui portent un autre narratif
Celles qui pointent les privilèges qui dénoncent les dominations
Celles qui tentent une réconciliation
Faut que ces voix-là
Explosent
Faut apprendre à entendre
Les essoufflements
Tendre la main à ceux pis celles de demain
À ceux pis celles d’hier
Faire une chaîne
Une grande une solide quelque chose comme un filet
Un social
Pour protéger nos acquis pis nos vraiment pas acquis
Un filet de sens
Pour nous empêcher de sombrer
Dans un consensus qui nous conduirait à la mort de la pensée
Un filet plein de toutes les respirations
Un filet tellement important tellement inspirant tellement fort tellement brillant
Pour que les politiciens pis que les politiciennes nous voient
Éclatant·es pis solidaires
Au cœur de la cité
Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.