Théâtre - Hervé Blutsch, pataphysicien

Tous avaient d'abord cru à un canular. Lors de la dernière édition du Festival de théâtre des Amériques, à la suite des représentations d'Anatole Feld et du Canard bleu, on avait présenté au public une vidéo qui montrait leur soi-disant auteur, d'origine française, portant perruque et moustache de carnaval, y allant de grands gestes comme de sautes d'humeur aussi soudaines que gratuites. Une véritable caricature, quoi.

De là à conclure que le jeune metteur en scène Michel Bérubé était en réalité l'auteur secret des textes, il n'y avait qu'un pas, rapidement franchi par tous ceux qui ont assisté auxdites pièces et même par plusieurs qui n'en avaient qu'entendu parler. Pourtant, l'auteur d'Ervart ou les derniers jours de Friedrich Nietzsche, Hervé Blutsch, existe vraiment. Et il se dit pataphysicien.

Ce jeune auteur français, adepte de la science des solutions imaginaires popularisée, entre autres, par Alfred Jarry et Boris Vian, a déjà signé une douzaine de pièces. Lors de l'entrevue, il arbore fièrement l'attirail de camouflage qu'on lui connaît: perruque et fausse moustache. Voilà qui en dit déjà long sur ce Blutsch. Le culte de l'auteur: il en rit. Une critique qui n'est sans doute pas sans fondement, si on se souvient de l'anecdote racontée dans Comment Pourquoi (Éditions Trois-Pistoles, collection «Écrire»), par Suzanne Jacob. Lors d'un certain Salon du livre, celle-ci a un jour recueilli les propos d'une fan qui, ignorant la véritable identité de son interlocutrice, lui a confié à quel point elle aimait Suzanne Jacob. Elle enregistrait toutes les entrevues télévisées de l'écrivaine, etc. — le tout, pourtant, sans jamais avoir ouvert un seul de ses romans. Hervé Blutsch n'entend pas séduire le public avec sa personnalité ou son histoire, il préfère sans doute la rigolade au racolage promotionnel.

Rien de conservateur ne semble poindre lorsqu'on lui demande de commenter Ervart ou les derniers jours de Friedrich Nietzsche, qui prendra l'affiche à l'Usine C du 13 au 24 août. «Je travaille sur l'incongruité. Je veux qu'elle soit sincère, qu'elle soit réellement vécue. Je ne veux pas que le théâtre soit le lieu du réel, c'est plutôt un lieu de transgression où tout peut arriver», dira Blutsch. Le thème principal de la pièce, selon l'auteur, serait la jalousie, celle qui rend fou, qui pousse à donner des interprétations farfelues aux faits, gestes et paroles qui meublent le quotidien.

Et Nietzsche dans tout cela? Eh bien, lui aussi, représenté à la fin de sa vie, est fou. Logeant à l'étage supérieur de la maison d'Ervart (le jaloux), il pose des bombes dans les ordures. À ces deux personnages se joignent un agent secret zoophile (qui se fera passer pour un cocher, histoire de prendre la clé des champs avec sa belle, une affriolante jument espagnole), un «psychanalyste-citationniste» aussi givré que ses patients et ainsi de suite. «Ervart, c'est une histoire à tiroirs, à la fois compliquée par le nombre d'intrigues et assez simple par leur lecture. Il faut que le spectateur accepte ce qu'il voit, car à plusieurs moments il peut décrocher et se dire "Mais qu'est-ce que c'est que ce truc?"».

Une chose est certaine, on semble y prendre un malin plaisir à bousculer les paradigmes théâtraux. «Les personnages sont conscients qu'ils sont sur une scène et ils jouent avec les codes scéniques. Le travail de déconstruction fait place à une structure inattendue. Ça devient une espèce de délire où le spectateur ne peut jamais se créer d'attente», explique le metteur en scène Michel Bérubé.

Quant à Hervé Blutsch, il n'en est pas à ses premières frasques. Sa pièce Le Professionnel, montée en France par François Dubos en 1990, mettait en scène deux hommes se livrant le plus sérieusement du monde au jeu de je-te-tiens-par-la-barbichette (c'est-à-dire que le premier qui rit perd la partie). Aucun des deux n'arrivant à faire craquer l'autre, il leur faudra embaucher un professionnel du rire. Ce dernier déploiera à cette fin tout un arsenal: du faux nez de clown à la bastonnade administrée à un trisomique et autres horreurs qui amuseront les plus pervers. «Ce sont des images que l'on voit tous les jours aux informations», proteste Blutsch. Y a-t-il des tabous que l'auteur n'oserait pas transgresser? Le faux moustachu éclate d'un grand rire: «Je ne pense pas!»

Difficile, dans l'univers de Bérubé et de Blutsch, de discerner le vrai du faux, le sérieux de la blague, la critique de la provocation. Or, les principaux intéressés semblent se réjouir de cette confusion. Et puisqu'il est tout aussi ardu de décrire ce qui attend le public sur la scène de l'Usine C, il faudra se résoudre à aller voir soi-même de quoi il retourne pour tenter d'extraire le génie du fouillis.

Ervart ou les derniers jours de Friedrich Nietzsche

à Montréal, à l'Usine C

du 13 au 24 août

À voir en vidéo