«Pas perdus»: la diversité d’une communauté

Une scène de la pièce documentaire «Pas perdus», d’Anaïs Barbeau-Lavalette et Émile Proulx-Cloutier
Photo: Valérie Remise Une scène de la pièce documentaire «Pas perdus», d’Anaïs Barbeau-Lavalette et Émile Proulx-Cloutier

Ce troisième opus d’Anaïs Barbeau-Lavalette et Émile Proulx-Cloutier poursuit bellement la forme originale de « documentaires scéniques », que le duo a mis au point. Comme dans le précédent Pôle Sud, Pas perdus met en valeur la parole et le récit de protagonistes de la vie réelle, plutôt que de personnages fictifs. Un microcosme contrasté, composé de huit individualités d’âges, de régions, de milieux sociaux et professionnels différents.

La création dessine un portrait pétri d’humanité. De leurs témoignages à cœur ouvert, enregistrés par la créatrice, émergent des visions singulières, comme celle que porte avec éloquence Quentin, le jeune gamer, ou de prenants drames humains, tels le patient durement éprouvé par un accident qu’évoque Élisabeth, l’orthophoniste, ou le passé tragique de Sylvain. Mais à travers cet octuor, dont on découvre bientôt que tous les membres partagent un même intérêt, le spectacle devient aussi un plaidoyer pour la pérennité d’une tradition, d’un pan de notre patrimoine. Un élément que nous acceptons de ne pas nommer, les créateurs désirant laisser au public le plaisir de le découvrir lui-même durant la représentation.

Mais disons que les histoires intimes y font parfois écho à ce grand thème, et que des liens se révèlent entre les divers récits, une mosaïque à la fois hétérogène et cohésive. Ce spectacle qui met en exergue l’importance de la mémoire collective s’ouvre, par exemple, sur l’histoire de Réal, dont la femme souffre d’Alzheimer. Une réflexion sur la mort, la perte semble aussi traverser la pièce.

Pas perdus trace un parcours narratif qui se révèle en fin de compte éclairant et plein de sens, une progression qui nous amène à réviser notre regard sur l’élément central du spectacle. L’ordre de succession des protagonistes dévoile peu à peu un milieu plus diversifié qu’on ne pouvait l’imaginer, élargit sa représentation stéréotypée.

Réjouissante communion

 

Sur le plan formel, la création mise en scène par Proulx-Cloutier est tout aussi soignée. Il y a de la beauté dans la conception d’éclairage de Mathieu Roy, qui joue sur les ombres, et l’animation 2D de Marielle Dalpé, qui met au monde les visages de personnes absentes. La scénographie de Julie Vallée-Léger permet de camper les environnements réduits composés spécialement pour chaque protagoniste, saisi dans ses activités. Notamment la fabrication d’objets, auxquels les gestes patients et attentifs des participants confèrent un caractère précieux.

Tour à tour touchant ou entraînant, Pas perdus dresse donc le portrait d’une communauté, d’une collectivité rassemblée par une passion commune. On peut voir, dans les scènes finales, ces êtres issus de milieux variés s’y adonner en communion, et avec un plaisir évident. Ce qui ne peut que réjouir, à notre ère de polarisation exacerbée, où depuis deux ans l’autre est devenu menaçant ou incompréhensible. Un spectacle qui fait chaud au cœur.

Pas perdus. Documentaires scéniques

Recherche et entrevues : Anaïs Barbeau-Lavalette. Conception narrative et mise en scène : Émile Proulx-Cloutier. À la salle Michelle-Rossignol du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, jusqu’au 2 avril.

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