Dans «Le noeud», la société mise en procès

Inexplicablement, le théâtre américain récent est assez peu monté au Québec. Contrer ce phénomène est la toute première qualité du spectacle produit par Écoumène, la jeune compagnie de la comédienne Marie-Joanne Boucher, et présenté ces jours-ci à La Petite Licorne. Créée aux États-Unis en 2012, la pièce de Johnna Adams Le nœud est ici traduite par Maryse Warda et mise en scène par Guillermina Kerwin.
On pourrait d’abord croire à une simple rencontre entre une enseignante de 5e année (Édith Paquet) et une mère (Marie-Joanne Boucher), celle d’un élève dont le fils de 11 ans a été suspendu pour cinq jours. Il s’agit en réalité d’un face-à-face, d’un règlement de compte, d’une joute verbale en bonne et due forme, un théâtre psychologique en même temps que social, un texte cru et cruel, mais qui ne donne jamais dans la violence gratuite, en somme une œuvre taillée sur mesure pour La Licorne.
Dans cet échange où chaque mot importe, en s’appuyant sur le microcosme de l’école et du système scolaire, sur la nature du lien privilégié et certainement crucial qui existe entre l’enseignant et l’élève, c’est toute la société qui est mise en procès. Il est largement question de la violence, celle des adultes et celle des enfants, concomitantes, mais aussi de la cruelle absence de place accordée à celles et ceux qui ne correspondent pas aux normes établies.
Dans la salle de classe qu’ont imaginée Guillaume Lord (décors) et Étienne Boucher (éclairages), un endroit saturé de lumière et recouvert de représentations de divinités, il faut reconnaître que la mise en scène de Guillermina Kerwin manque d’originalité et de tonus. Alors que la machinerie langagière opère au quart de tour, la direction d’acteurs n’est pas à l’avenant. Inconstant, péchant par désinvolture dans le cas de la mère et par caricature en ce qui concerne l’enseignante, le jeu contribue bien peu à faire croître la tension entre les deux personnages.
Soyons clairs, ces quelques scories n’empêchent nullement d’apprécier la partition. Lorsqu’on apprend que le garçon s’est enlevé la vie et que sa mère est là pour obtenir des réponses, le huis clos prend une tournure tragique. Au terme de cette féroce discussion, où les arguments des deux femmes, bien qu’opposés, semblent valides, le nœud gordien sera-t-il tranché ou dénoué ? Johnna Adams explore avec doigté, dans un heureux mélange de rigueur et d’émotion, le thème on ne peut plus actuel des limites de la liberté d’expression en arts. Son illustration nuancée vaut à elle seule le détour.