«Antigone», toujours d’actualité

Antigone et sa famille ont-elles encore des choses à nous apprendre ? Cette question lancée aux spectateurs en amorce d’Antigone sous le soleil de midi, présentée en toute première à la Maison Théâtre, ouvre une boîte de Pandore et prépare les spectateurs à laisser tomber leurs œillères et à plonger en silence dans ce classique « chargé de vie, de mort et de beaucoup de questions ».
Dans cette nouvelle création du Carrousel — coproduite avec le théâtre Gilles-Vigneault —, Suzanne Lebeau démocratise l’œuvre de Sophocle tout en mettant en lumière l’étonnante contemporanéité des thèmes. D’un côté, Antigone (Citlali Germé), avec sa soif de vivre, son sens critique et sa loi, celle du cœur ; de l’autre Créon (Ludger Côté), avec ses doutes, le pouvoir et sa vérité puisée dans la loi de l’État. Entre les deux, une famille déchirée par les conflits, de jumeaux assoiffés de pouvoir, d’Ismène, la petite sœur apeurée par la peste qui décime la ville de Thèbes, de Jocaste, la mère et son lourd secret, d’Œdipe qui aura une misérable fin.
Suzanne Lebeau parvient avec un naturel dont elle seule a la clé, à épurer la complexité de cette immense tragédie tout en conservant la puissance du propos. La fluidité et la simplicité du récit tiennent notamment à la présence d’un narrateur (Sasha Samar), qui, s’adressant aux spectateurs, raconte le récit au passé tout en remettant en question les événements.
Est-il important de tenir parole ? Pourquoi les petits conflits se transforment-ils en guerres sanglantes ? La loi de Créon était-elle nécessaire ? Qui a raison ? Qui a gagné ? Qui a perdu ? Le droit de l’État ou celui du sens critique ? Qu’est-ce que gagner veut dire ? sont quelques-unes de ces réflexions lancées au cours de l’histoire, comme un temps d’arrêt nécessaire à l’absorption du drame qui se joue devant nos yeux.
Le texte de Suzanne Lebeau, sa façon d’écrire sur la vie en faisant confiance aux jeunes spectateurs à qui elle s’adresse, est porté à bout de bras par les trois comédiens. Par Citlali Germé, cette Antigone « petite devant la vie qui offre de grands défis mais immense devant la fatalité ». Par Sasha Samar, à la fois narrateur, mais aussi Hémon, amoureux d’Antigone, juste et solide dans ses allers-retours entre la fiction et les questionnements, et par Ludger Côté en impassible et solitaire Créon.
La mise en scène épurée de Marie-Ève Huot participe par ailleurs de la solidité de l’ensemble. Grâce à mille et un petits détails et à son ingéniosité, elle évoque le drame sans jamais l’offrir de manière frontale. Que ce soit la lutte entre les jumeaux, invisible sinon dans les corps tremblants de Germé et de Côté ; la scène de combat simulée par un halo rouge plongeant sur les dépouilles étendues ; le fléau de la peste représenté par d’immenses boules de tricots noir et blanc bariolés, ou encore ce sable emprisonné dans une toile plastique afin de simuler un cadavre transporté par Hémon.
Toute cette richesse créative est portée par la musique sur scène qui ajoute à la charge dramatique, mais aussi par les moments de silence que les spectateurs, absorbés, ont respectés jusqu’à la fin.