Repenser le système

Sortie de l’École supérieure de théâtre de l’UQAM en 2004, Maude Laurendeau a connu un début de carrière fulgurant : mentionnons les sept saisons de Yamaska à la télévision, le rôle de la belle Lurette dans Babine et Ésimésac au grand écran, et les quatre ans de création et de tournée avec Sexy béton, un spectacle de théâtre documentaire consacré à l’effondrement du viaduc de la Concorde. Dix ans plus tard, la comédienne au regard perçant renoue avec la compagnie Porte Parole, cette fois pour raconter sa propre histoire, celle d’une mère de deux petites filles, dont l’aînée, Rose, est autiste.
Avant même le diagnostic officiel s’enclenche une quête quotidienne, un combat de tous les jours, une lutte acharnée pour obtenir de l’aide, de l’assistance, des explications, de l’écoute, des services… Incarnant son propre rôle, celui d’une femme qui est à la fois une mère, une citoyenne et une artiste, Maude Laurendeau nous entraîne dans un périple des plus émouvants, mais en toute sobriété, sans effets, sans excès de pathos, en respectant la plupart des codes éprouvés du théâtre documentaire, à commencer par l’adresse au public et la recréation sur scène de conversations réelles.
Comme Tout inclus, le spectacle de François Grisé à propos du vieillissement de la population, et J’aime Hydro, celui de Christine Beaulieu consacré à la gestion énergétique, Rose et la machine met au jour de manière bouleversante les failles du système, d’abord celui de la santé, visiblement miné par la récente réforme, puis celui de l’éducation. Après la détection des signes du trouble du spectre de l’autisme (TSA), puis le diagnostic, vient l’intervention comportementale intensive (ICI) dans un centre de réadaptation en déficience intellectuelle (CRDI)… Ce n’est que le début d’un parcours jonché de presque autant d’acronymes que d’embûches. Dans la scénographie de Patrice Charbonneau-Brunelle, qui évoque à la fois l’enfance, son ludisme et son imagination, mais aussi les rouages d’une machine bureaucratique imprévisible dans laquelle il est périlleux de conserver son équilibre, Édith Patenaude met en scène les aventures de Maude de façon efficace, mais sans grande inventivité.
Quant à Julie Le Breton, elle s’acquitte brillamment de la lourde tâche d’incarner les 43 personnages — psychoéducatrices, intervenantes, travailleuses sociales, orthophonistes, ergothérapeutes, éducatrices de service de garde, techniciennes en éducation spécialisée, orthopédagogues, enseignantes… — avec lesquels l’héroïne dialogue au cours des deux heures que dure le spectacle.
Au moment où on apprend que Julie Le Breton est la belle-sœur de Maude et la marraine de Rose, la représentation prend une tournure encore plus émouvante. On accorde ensuite la parole à deux personnes autistes, un jeune homme et une adolescente, qui ne manquent pas de perspicacité, d’humour et de lucidité. L’enjeu de la neurodiversité apparaît alors dans toute sa nécessité : les fonctionnements neurologiques qui s’éloignent de la norme ne sont pas des lacunes, mais bien des richesses. Il apparaît essentiel de repenser toute la « machine » en adoptant ce point de vue.
Non seulement Maude Laurendeau a-t-elle réussi à mettre de l’ordre dans ce qu’elle a vécu, à faire ses deuils, à donner du sens à ses épreuves, elle est aussi parvenue à interroger le pouvoir et à bousculer les idées reçues. Rencontre avec soi-même qui passe par une suite de rencontres avec les autres, puis finalement avec le public, Rose et la machine a tout ce qu’il faut pour recueillir un écho exceptionnel.