Dave Jenniss explore courageusement son récit originel

L’auteur et metteur en scène d’origine wolastoqey (malécite) et québécoise, Dave Jenniss, travaille à faire résonner la langue des Wolastoqiyik sur les scènes.
Photo: Valérian Mazataud Le Devoir L’auteur et metteur en scène d’origine wolastoqey (malécite) et québécoise, Dave Jenniss, travaille à faire résonner la langue des Wolastoqiyik sur les scènes.

Répéter à l’extérieur de Montréal, c’est un luxe que Dave Jenniss a l’habitude de s’offrir, mais la pandémie a permis au directeur artistique des Productions Ondinnok et à ses collaborateurs de prendre encore plus de temps que d’ordinaire. « J’ai amené l’équipe avec moi à Trois-Pistoles, là où je suis né », explique l’auteur et metteur en scène d’origine wolastoqey (malécite) et québécoise, qui travaille à la création de la pièce Nmihtaqs Sqotewamqol / La cendre de ses os.

« C’était une extraordinaire expérience, poursuit-il, très nourrissante sur les plans humain et artistique. J’avais déjà des répliques, des situations, je savais un peu ce que je voulais, mais les comédiens ont pu longuement improviser, et qui plus est dans des lieux hautement significatifs, comme le cimetière où mon père est enterré. »

Avec des pièces comme Wulustek (2008), Ktahkomiq (2017) et Mokatek et l’étoile disparue (2018), il y a plus de dix ans que Dave Jenniss travaille à faire résonner la langue des Wolastoqiyik sur les scènes du Québec. Il faut savoir que ce n’est qu’en 1989 que ceux qu’on appelle les Malécites de Viger ont finalement été reconnus comme nation par le gouvernement du Québec et comme Indiens inscrits par le gouvernement du Canada. « Quand tu n’as pas de territoire, déclarait Jenniss à la collègue Caroline Montpetit en 2017, tu n’as pas de lien avec toi-même. Tu n’as pas de culture. Tu n’as pas de lieu de rassemblement. Comment veux-tu préserver une langue ? »

Heureusement, les autochtones souhaitant se réapproprier leur langue semblent de plus en plus nombreux. « Je n’ai pas le temps d’apprendre vraiment la langue », explique celui qui est tout de même allé au Nouveau-Brunswick pour recevoir les enseignements d’Allen Tremblay, l’un des rares locuteurs du wolastoqey. « Ma manière à moi de la garder vivante, c’est de la transposer dans mes écrits, de la donner à voir et à entendre, de l’inscrire dans l’espace et sur le papier. »

Alors que la dramaturgie de Dave Jenniss a toujours été indissociable de son histoire, de ses origines autochtones, il faut reconnaître que Nmihtaqs Sqotewamqol / La cendre de ses os, la pièce qu’il s’apprête à créer à la Licorne, est plus autobiographique, plus personnelle que jamais, notamment parce qu’elle fait franchement écho à la mort de son père.

« Cette pièce, c’est un cri du cœur à mon père, révèle-t-il. Six ou sept ans après son décès, j’ai senti que l’heure était venue. Tout cela est très fragile, j’ai pleuré beaucoup dans le processus, mais écrire m’a permis de faire mon deuil, de dire à mon père des choses que je n’aie pas eu le temps ou le courage de lui dire de son vivant, un peu de la même manière que j’ai le sentiment de parler à ma fille lorsque j’écris du théâtre pour la jeunesse. »

La mort fascine le créateur : « Je pense que souvent, même s’ils sont très malades, qu’ils sont prêts à partir, il nous arrive de retenir les gens qu’on aime parce qu’on ne veut pas qu’ils nous quittent. La mort, c’est une partie du cycle de la vie, une étape qui mène vers un autre état, il ne faut pas en avoir peur. Comme le dit Martin dans la pièce : “Il y a autre chose après la vie, il y a l’animal.” »

Reconquête de soi

 

Trois ans après la mort de son père, Martin Kaktanish (Nicolas Gendron), alter ego de Dave Jenniss, est de retour sur le territoire de ses ancêtres. S’ensuit une série d’affrontements avec son frère François (Charles Bender), son ancienne amoureuse Sophie Pelletier (Marilyn Provost) et son éternel adversaire Sébastien Tienis (Nicolas Desfossés).

Entrelaçant le réel et l’onirique, le passé et le présent, la pièce met en scène une rivalité fortement inspirée de celle qui oppose deux clans de la région de Cacouna, deux familles dont l’une se considère comme plus légitimement autochtone que l’autre. Si l’antagonisme est politique, idéologique et territorial, sa violence a aussi des impacts sur les relations intimes et collectives des membres de la communauté.

« La rivalité est présente sur scène, reconnaît Jenniss, mais la pièce va bien au-delà. C’est une histoire de réconciliation, de reconquête de soi et de solidarité. J’estime qu’il est essentiel de pouvoir débattre, de pouvoir aborder franchement et tous ensemble les sujets les plus délicats, que ce soit le vieillissement de la population, les atteintes à l’environnement, les disparités sociales ou encore l’appropriation culturelle. Disons que ce ne sont pas les quêtes de justice et les combats à mener qui manquent actuellement. »

Dans tout ce qu’il écrit, Dave Jenniss considère que « le territoire, l’identité et la langue ne font qu’un » : « Je conçois ce spectacle comme une bulle, un microcosme qui a sa propre logique, sa propre spiritualité, son rapport unique au temps et à l’espace. J’ai ni plus ni moins que le souhait d’amener les gens dans mon bas du fleuve, dans le territoire tel que je le vois, tel que je le ressens. C’est une représentation lumineuse, avec plusieurs ouvertures à la fin. »

 

Nmihtaqs Sqotewamqol / La cendre de ses os

Texte et mise en scène : Dave Jenniss. Une production de la compagnie Ondinnok. À la Petite Licorne du 25 octobre au 12 novembre.

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