Concilier cirque et défis climatiques

Les membres du Cirque Barcode et de la troupe Acting for Climate Montréal, en répétition de leur spectacle «Branché»
Photo: Valérian Mazataud Le Devoir Les membres du Cirque Barcode et de la troupe Acting for Climate Montréal, en répétition de leur spectacle «Branché»

Importance de la nature, remise en question d’un mode de vie axé sur de constants déplacements : ces valeurs devenues à la mode durant la pandémie, des artistes circassiens y réfléchissaient déjà avant. Il y a trois ans, le groupe Acting for Climate Montréal avait organisé un atelier pour explorer la question des changements climatiques au cirque. De là est née l’envie, à laquelle s’est joint le Cirque Barcode, de créer un spectacle écoresponsable abordant ce sujet.

« La question de base qu’on s’est posée, c’était pourquoi, nous qui sommes si intéressés par l’écoresponsabilité en tant que personnes, ça ne se retrouve pas du tout dans notre pratique, notre art ? explique Agathe Bisserier, cofondatrice d’Acting for Climate Montréal. On s’est demandé si on ne pourrait pas faire des spectacles qui n’ont pas un impact négatif sur l’environnement, et qui peuvent aussi sensibiliser, utiliser les forces du cirque pour faire avancer un mouvement dans la communauté. »

Et l’un des gros problèmes dans cette pratique en Amérique du Nord, c’est le peu de possibilités de jouer localement, ajoute l’artiste. « Au Québec, il y a une communauté de cirque énorme, mais je pense que 80 % [de nos engagements] sont à l’international. Donc c’est énormément de voyages en avion, et les tournées ne sont pas nécessairement faites de manière logique. Parce qu’on fait de gros spectacles qui coûtent cher, on essaie de remplir le plus de dates possible. » Ce rythme n’est pas seulement peu soutenable pour l’environnement, mais aussi pour les artistes. « De faire des tournées où tous les jours, tu changes d’endroit, de faire des créations qui durent deux mois très intenses, et ensuite c’est parti pour deux ans, ce n’est pas forcément durable. Et on avait le goût de se dire : si on essaie de faire autrement, à quoi ça ressemblera ? »

Au pays du Cirque du Soleil, d’Éloize et des Sept doigts de la main dominerait encore l’image du cirque comme d’un gros spectacle impossible à représenter dans de petites salles. « En fait, le cirque, ça peut être tout : des plus petites formes, en extérieur, avec ou sans points d’accroche… » rappelle Agathe Bisserier.

Son collègue Tristan Nielsen, cofondateur du Cirque Barcode, relève que la pandémie, subventions gouvernementales à l’appui, a justement « ouvert la porte à d’autres façons de faire des spectacles, réimaginés ailleurs qu’en salle ou sous chapiteau », ce qui fait découvrir au public des formes différentes de cirque.

Portées

 

Ils créent donc un spectacle extérieur acrobatique, joué autour ou dans — lorsque c’est possible — des arbres. L’idée de départ était de reconnecter les spectateurs avec la nature, indique Agathe Bisserier. « Le cirque n’est pas le meilleur des arts pour donner des faits, des chiffres. On est beaucoup dans les émotions, le ressenti, les images. Et c’est un art collectif. Alors, c’est un spectacle de portée de groupe. On est huit corps qui se portent, se lancent, s’attrapent, s’échangent. »

Le show s’attaque à la question climatique par les « enjeux sociaux qui sont un peu à la racine du problème ».Branché — allusion aux arbres, mais aussi à la connexion, avec la nature et entre humains — illustre la course effrénée à la croissance dans laquelle nous sommes pris. Il retrace l’évolution du groupe d’acrobates-danseurs, dont les interactions s’emballent de plus en plus, « jusqu’à atteindre une certaine absurdité et une certaine frénésie, qui nous amène à nous grimper dessus pour aller de plus en plus haut, dans l’individualisme », explique la performeuse. Jusqu’à une cascade de chutes. « De là, on s’arrête et on décide de reconstruire d’une nouvelle manière, peut-être plus dans l’écoute, dans la solidarité, la communauté. Avec les autres et pas sur les autres. »

Célébration de ce que peut accomplir une collectivité qui s’unit, la création injecte donc une dose d’optimisme à une question qui suscite souvent un sentiment d’impuissance. « On n’est pas là pour faire la morale, assure Tristan Nielsen. On a envie de montrer cette force de la communauté pour donner l’espoir que c’est possible. Et c’est beaucoup grâce à la communauté du cirque de Montréal qu’on a fait Branché, aussi. Les artistes avaient envie d’explorer ces thèmes-là. »

Le spectacle engagé est également teinté par un humour absurde et beaucoup d’autodérision. « L’un des buts principaux, c’est qu’on s’amuse ensemble, ajoute l’artiste. Parce que tout ce qui tourne autour du climat vient souvent avec un fardeau de négativité. Et on veut garder [le spectacle] léger. »

Arbres

 

La création au Festival s’amorcera en face de la Tohu, se poursuivra par le parc Fédérick-Back, pour aboutir derrière le siège social du Cirque du Soleil, « dans un espace très féerique ». « C’était quand même un défi à cet endroit parce qu’on avait fait les résidences en forêt, avec plein d’arbres sur lesquels grimper », intervient Tristan Nielsen. Ici, ce sont des arbres plantés, un peu plus petits et qu’il n’est pas permis d’escalader, parce qu’ils appartiennent à la Ville. « Donc on joue avec, on joue un peu dedans, mais on n’a pas le droit de grimper jusqu’en haut, pour l’instant. »

De toute façon, Branché a été conçu pour s’adapter à son environnement, précise Agathe Bisserier. « On veut le jouer partout où il y a des arbres. Même si c’est en ville et qu’il y en a juste un, on aimerait recréer cette connexion avec la nature. » Et l’équipe souhaite créer une performance propre à chaque lieu, pour mettre en lumière son milieu naturel.

D’autres représentations sont déjà prévues sur le territoire montréalais, possiblement ailleurs au Québec. Plus une tournée aux États-Unis. « Mais on ne veut jamais prendre l’avion pour faire ce projet », insiste-t-il. La solution passe par des performeurs locaux. « On est même en train de monter une équipe en Europe afin de pouvoir jouer là-bas, avec des artistes que l’on connaît. »

Le caractère accessible de Branché est aussi important pour les deux artistes circassiens. « On avait très envie de créer un spectacle qui n’est pas dans l’élitisme du cirque, que juste les abonnés d’une salle vont voir, dit-elle. Puisqu’on est dehors, forcément, des gens qui n’ont pas de billets vont le voir, en passant dans le parc. On veut amener le cirque un peu partout. »

Aussi au festival

Voici quelques suggestions issues du volet payant de cette édition — entièrement québécoise — présentée sur le site de la Tohu. L’événement comportera également une programmation extérieure gratuite, surtout sur la rue Saint-Denis.

Animal : Le festival s’ouvre le 2 juillet avec la nouvelle création du Cirque Alfonse, connu pour ses spectacles inspirés du folklore québécois (Timber !, Barbu, Tabarnak). La troupe revisite cette fois l’univers de la ferme, en version drôlement surréaliste.

Cabaret Yam ! : Le spectacle des Productions Kalabanté met le métissage à l’honneur en mariant acrobates, musiciens, chanteurs et danseurs — dont l’artiste multidisciplinaire Yamoussa Bangoura —, sur des rythmes d’Afrique de l’Ouest.

Fun Fun Fun Fun Fun : Après un spectacle en appartement (Se prendre, en 2019, qui avait enchanté le critique du Devoir), la compagnie Lion Lion revient au Festival avec une expérience déambulatoire, donnée dans des espaces extérieurs du Plateau et du Mile-End. Neuf créateurs issus de diverses disciplines y explorent le concept de plaisir.

 

Branché

Du Cirque Barcode et d’Acting for Climate Montréal. Regard artistique : Émilie Emiroglou. Regard acrobati-que : Jérôme Lebeau. Avec Anne-Marie Godin, Agathe Bisserier, Heidi Blais, Stéfanie Fournier, Adrien Malette-Chénier, Eric Bates, Nathan Biggs-Penton, Tristan Nielsen. À l’extérieur de la Tohu, du 8 au 18 juillet.



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