Le théâtre de la réconciliation de Simon Boulerice

Simon Boulerice est ravi par ce retour à l’écriture pour la scène, et il a envie que ça se poursuive. Comme il le raconte dans «Pleurer au fond des mascottes», un récit écrit à peu près en même temps que la pièce, l’arrivée du théâtre dans sa vie l’a «élargi».
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir Simon Boulerice est ravi par ce retour à l’écriture pour la scène, et il a envie que ça se poursuive. Comme il le raconte dans «Pleurer au fond des mascottes», un récit écrit à peu près en même temps que la pièce, l’arrivée du théâtre dans sa vie l’a «élargi».

Entre tous les projets de l’effervescent Simon Boulerice, un artiste qui se multiplie, sous divers chapeaux, des livres à la télévision, la chose était peut-être passée inaperçue : l’absence de l’auteur de Martine à la plage des scènes. Le théâtre, c’est pourtant ses « premières amours professionnelles », sa gang.

Le dramaturge avait pris un recul après la reprise de sa création àsuccès Pig, en 2015. Une production coûteuse qui, sans subventions, avait été jouée à perte. « Je m’étais toujours dit que, si je devais payer pour jouer au théâtre, ça n’irait plus. » Il a donc décidé, avec ses collègues d’Abat-jour Théâtre, de dissoudre la compagnie. « Ça fait dix ans qu’on n’en vit pas. » L’artiste a alors vécu « je ne dirais pas une blessure, mais pas loin ». « C’était une déception. Je voulais tellement faire du théâtre dans la vie. »

Simon Boulerice est revenu à l’écriture scénique à l’invitation de la metteuse en scène Édith Patenaude — sa cousine germaine ! —, qui lui a commandé un texte, Ta maison brûle, créé à Carleton-sur-Mer à l’été 2019. « C’était le projet parfait pour me réconcilier totalement avec le théâtre. Ça a été tellement fait dans l’amour ! » Vivant alors son « retour » à la scène, l’auteur a accueilli avec enthousiasme l’offre du Petit Théâtre du Nord, une compagnie qu’il fréquente depuis des années, d’écrire une création. Nous nous sommes tant aimés, dirigée par Charles Dauphinais, inaugure le nouvel espace du PTdN, une ancienne église à Boisbriand.

Le dramaturge désirait écrire une pièce sur l’amitié. D’emblée, c’est ce que lui a inspiré cette compagnie fondée par quatre copains, qui a su durer depuis plus de vingt ans. Il a écrit les rôles en pensant aux interprètes : Luc Bourgeois, Sébastien Gauthier (deux de ses anciens profs à l’école de théâtre), Louise Cardinal et Mélanie St-Laurent. Et à un cinquième en entendant la voix de Marie-Hélène Thibault — même si, curieusement, ce n’est pas cette grande complice du théâtre des Basses-Laurentides qui devait jouer le personnage avant le report dû à la COVID-19.

Trente ans après leur bal de finissants, quatre amis sont réunis pour une première fois, dans la cour même où avait fini la soirée. Une narratrice, critique de cinéma, porte un regard extérieur sur le quatuor, avant de finir par s’intégrer au récit. Un personnage dans lequel l’auteur se projette beaucoup. « Il y a une grande part de Maryse qui me ressemble. J’ai eu très peu d’amitiés au secondaire. Les clans dans lesquels je voulais m’insérer venaient tout le temps le samedi soir au club vidéo où je travaillais. Et jamais on ne m’invitait (rires). »

L’autre source de la pièce, c’est justement une invitation pour participer à son propre conventum, 20 ans après la fin de son secondaire à Saint-Rémi, qu’il a reçue simultanément à la commande du PTdN. Dix ans plus tôt, Boulerice s’était rendu à reculons à une première réunion scolaire. « J’étais ressorti en me disant que j’avais été plus aimé que je ne le pensais. Et là, j’ai vraiment eu une grosse vague d’amour. Peut-être que [sa visibilité à] la télévision aide. Mais je pense que les gens ont changé. J’ai eu l’impression que mes bourreaux — parce que j’avais eu des bourreaux — avaient été très gentils à mon égard. »

L’un d’entre eux, qui était accompagné de sa femme, l’a même invité à danser. « Ça ne me tentait pas vraiment. Mais j’ai bien compris que, pour quelqu’un qui n’avait pas nécessairement la parole facile, c’était une façon de faire la paix. C’est quand même beau. »

L’auteur a donc eu l’idée de créer un personnage qui conserve del’amertume envers son secondaire, où elle a subi de l’homophobie, une blessure qui perdure. « Et elle est témoin de l’évolution de ceux qui l’ont fait souffrir, de façon parfois inconsciente. Je pense que, parfois, la méchanceté est presque circonstancielle, c’est lié à la gang, un effet de masse. » Basculant en 1990, l’acte 2 de la pièce révèle le cruel incident qui a causé le traumatisme de Maryse — un événement horrifiant dont a été témoin une amie de l’auteur durant son après-bal.

Et la tendresse, bordel

 

Truffé de références cinématographiques, Nous nous sommes tant aimés emprunte son titre à un beau film de l’Italien Ettore Scola, que l’auteur « aime tellement ». À travers une citation emblématique du long métrage — « nous voulions changer le monde, mais c’est le monde qui nous a changés » —, Boulerice s’intéresse à la façon dont les gens évoluent au fil du temps. « J’ai l’intuition qu’on peut vraiment changer. Sinon, à quoi bon ? Je trouve ça bien de parler de réconciliation. »

Le volubile auteur disserte avec affection sur ses personnages, dans toutes leurs imperfections, dont certains sont directement inspirés d’amis. En émerge, pense-t-il, « d’abord et avant tout ma tendresse à l’égard de ma gang du secondaire. Ils ne m’ont pas tant accueilli, à part vers la fin, en 5e secondaire, lorsque j’ai commencé à faire du théâtre ».

Photo: Marie-France Coallier Le Devoir Le dramaturge, Simon Boulerice, désirait écrire une pièce sur l’amitié.

Et la tendresse, c’est un peu son fonds de commerce, à Simon Boulerice. Il assume ce qu’il est, a-t-il compris, son ton, sa « couleur » particulière. « J’ai l’impression qu’on peut me taxer de candide. Mais au bout du compte, on peut le saluer autant qu’on peut me le reprocher. Je pense qu’il y a des gens qui ont envie de bienveillance. Et ces thèmes-là me parlent vraiment, que je m’adresse aux enfants ou aux adultes. Il y a quand même de la cruauté dans mon théâtre, mais il y a surtout de la tendresse. Parce que la vie, c’est ça. » Le scénariste de la télésérie Six degrés aime s’adresser à un public varié, de tous âges. Et même lorsqu’il écrit une pièce pour adultes, comme celle-ci, il ne fait pas vraiment de distinction. « Je pense juste aux personnages. »

Le dramaturge aime aussi le fait que le Petit Théâtre du Nord n’exige pas un texte estival au sens usuel. « Il n’y a pas la nécessité du rire. Dans ma pièce, au départ, c’est très guilleret et ça finit par déraper. Mais je voulais quand même une forme de légèreté. Je pense qu’on va assurément rire un peu. Moi, j’ai toujours aimé le sourire triste. Lorsqu’on ne sait pas si on doit rire ou pleurer. J’ai toujours été à l’aise avec cette ambiguïté. »

Crier

 

Simon Boulerice est ravi par ce retour à l’écriture pour la scène, et il a envie que ça se poursuive. Comme il le raconte dans Pleurer au fond des mascottes, un récit écrit à peu près en même temps que la pièce, l’arrivée du théâtre dans sa vie l’a « élargi ». « Moi qui étais d’une nature très solitaire et très sauvage enfant, il m’a rendu plus grégaire. » C’est aussi là que son « identité artistique » s’est précisée.

Certes, il ne dispose plus de compagnie : « Je ne suis pas un producteur. J’ai compris qu’au bout de 10 ans, j’étais encore broche à foin (rires). Je comprends que ce n’est pas ma force. » Mais il désire se promener, toujours, entre des périodes « de sauvagerie intense » consacrées à l’écriture littéraire et la fréquentation du théâtre, qu’il considère comme sa maison : « J’appartiens à ce monde-là. »

« Michel Tremblay a dit : “J’écris du théâtre pour le crier à l’oreille du public et des romans pour les chuchoter à l’oreille du lecteur.” Et je pense que j’avais d’autres affaires à crier. Avec tendresse, ajoute-t-il en riant, mais à crier quand même sur la scène. J’avais envie, après autant d’intimité, de revenir à un volume plus élevé, à “donnez-moi de la place, je vais parler de la rage qui m’anime, de la déception”. Je pense que le personnage de Maryse incarne ça : le besoin de nommer ces choses-là. De faire la paix. »

Nous nous sommes tant aimés

Texte : Simon Boulerice. Mise en scène : Charles Dauphinais. Au Petit Théâtre du Nord, jusqu’au 14 août.

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