Contrer la déferlante pandémique sur la scène au Quat’Sous

En montant la programmation alternative automnale du Quat’Sous, Olivier Kemeid n’a pas fait comme si les derniers mois n’avaient pas existé.
Ce n’est pas que le directeur artistique met à l’affiche de son théâtre « Le Grand Confinement — Solo pour acteur en isolement », ou encore « Pandémie — une pièce — de maison — en trois actes ».
Mais les événements que l’on sait ont nourri la réflexion, le propos, les mots. Ainsi, le collage de textes de Ducharme concocté par Martin Faucher, initialement prévu pour ce printemps, a changé de titre. À quelle heure on meurt ? est devenu À quelle heure on est mort ?.
L’heure exacte, c’est peut-être celle où le premier ministre Legault a annoncé qu’on fermait les établissements scolaires « pendant une période de deux semaines ». La date aussi est gravée dans l’esprit d’Olivier Kemeid, comme dans celui de bien d’autres : le vendredi 13 mars.
Impossible d’oublier la déferlante qui a suivi, lorsque les portes des théâtres se sont fermées, tout comme celles des demeures où chacun s’est réfugié. Encore une fois, impossible de ne pas le mentionner. « J’aurais trouvé bien déprimant de faire comme si. Il fallait absolument marquer le coup. Affronter ça de plein fouet. »
Le dramaturge ne le cache pas, l’ambiance n’est pas forcément à la fête. « Comment va-t-on résister à cette dépression généralisée ? » Par le théâtre, peut-être, qui servira ici à affronter, à confronter, à nommer le mal-être dans lequel la pandémie nous a plongés. Les mots « dépression » et « résistance » se repoussent et se côtoient d’ailleurs dans la programmation.
Nous sommes purement déficitaires. Nous puisons à même nos maigres ressources. Ça me brise le cœur de ne pas pouvoir faire de supplémentaires, alors qu’il y a une demande du public.
C’est porté par cet élan que le metteur en scène animera le premier événement. Le bien nommé Cabaret de la Résistance, donc, présenté en collaboration avec le FIL. « Les billets sont partis en, je ne sais pas, une heure ? Il y a une soif de la part des spectateurs. »
Un soutien qui se fait attendre
L’engouement est tel qu’il pourrait ajouter des représentations… s’il avait du soutien gouvernemental. Pour la compensation des billets ne pouvant être vendus pour cause de distanciation physique, notamment. Mais ledit soutien se fait attendre.
« Nous sommes purement déficitaires. Nous puisons à même nos maigres ressources, confie-t-il. Ça me brise le cœur de ne pas pouvoir faire de supplémentaires, alors qu’il y a une demande du public. »
C’est pour lui, ce public, qu’il a d’ailleurs persévéré. S’il a considéré ne pas rouvrir son théâtre cette saison ? On s’attend à un non catégorique. Mais « oui, oui, oui », avoue-t-il sans hésitation. « Je ne suis pas plus courageux ou vertueux qu’un autre. En début de crise, honnêtement, je me roulais en boule. J’étais tétanisé. »
Et puis, ajoute-t-il, « il y a eu le combat politique aussi ». La lettre ouverte à Nathalie Roy qu’il a signée en compagnie de quelques collègues. Que des milliers de personnes ont signée ensuite. Les rencontres et les échanges avec la ministre des Cultures et des Communications que le milieu a attendue.
Tout n’est pas réglé, mais au moins il y a des balises plus claires. Une jauge minime qui se chiffre à cinquante personnes au Quat’Sous. Un chiffre qui lui apparaissait au départ « une misère ». « Mais finalement, cinquante, ça reste un groupe, quoi. De toute façon, on n’a jamais été là pour remplir les stades. L’expérience collective demeure. »
Il salue au demeurant non seulement ceux qui feront du théâtre dans ces conditions difficiles, mais aussi ceux qui s’y rendront. Pour voir notamment M’appelle Mohamed Ali, une mise en lecture que fera le Théâtre de la Sentinelle du texte dramaturge congolais Dieudonné Niangouna. Et puis Lettres d’une Africaine, projet découlant du premier, porté par la même compagnie — et par un souffle, un propos percutant. Ces deux spectacles seront suivis de discussions. Avec Webster, pour le premier. Avec Émilie Nicolas, pour le second.
« Ce n’est pas rien, quand même, de venir dans une salle, dit le directeur artistique. C’était aussi une façon d’honorer tous ceux et celles qui nous ont témoigné leur appui. »
Certes, remarque-t-il, le confinement a donné lieu à une « atomisation ». À une poussée « d’individualité extrême ». En même temps, tant de gens ont fait preuve d’une grande générosité. Plusieurs ont notamment choisi l’option du « billet solidaire », refusant leur remboursement pour les spectacles annulés au printemps, afin d’offrir les sous à la salle sise sur l’avenue des Pins. « C’était fou, quoi. Pendant que le gouvernement ne faisait rien, il y avait des abonnés pas forcément fortunés qui nous faisaient des dons. Nous ne pouvions pas les abandonner. »
Les fonds ont notamment été utilisés pour compenser les artistes dont les pièces ont été annulées. « Il m’apparaissait impensable de travailler sur une saison alternative pendant que ceux qui étaient prévus restaient sur la paille, remarque Olivier Kemeid. Cette idée que j’ai entendue dans certains organismes culturels que “ce n’est pas grave, ils auront la PCU”, m’a sidéré. Comme si plus rien n’avait de valeur. Ni la parole ni l’engagement. »
Si le directeur artistique parle de difficultés financières, ce n’est surtout pas « pour faire l’aumône ou pour faire pitié ». « Mais je ne peux pas accepter qu’on soit rendus en septembre et qu’il n’y ait toujours pas de mesures compensatoires du gouvernement. »
Sa franchise sert aussi un autre but : ne surtout pas lui faire croire, à ce gouvernement, « qu’on est capables de faire du théâtre avec rien ». En fait, si, on peut en faire. Mais du théâtre comme on veut en voir ? Pas certain.