La plus grande des évasions

« Il y a toujours une mélancolie à savoir qu’on n’a pas pu faire la programmation qu’on avait prévue, confie Lorraine Pintal. Mais nous sommes assez fiers de cette saison alternative. C’est comme retrouver l’essence de ce qu’est le théâtre, vraiment. Un théâtre de collaboration, d’invitation, de partenariats. »
Dans un Théâtre du Nouveau Monde (TNM) qui pourra accueillir 160 spectateurs, règles sanitaires obligent, trois pièces et deux concerts théâtraux seront présentés. Ces derniers, soit Pierre et le loup, de Prokofiev, et Le Petit Prince (sur une musique composée par Éric Champagne), seront donnés en compagnie de l’Orchestre Métropolitain (OM), dirigés par Yannick Nézet-Séguin et mis en scène, respectivement, par Lorraine Pintal et Sophie Cadieux.
« Il y a cette belle phrase de Saint-Exupéry qui dit : “Je suis de mon enfance comme d’un pays”, rappelle Fayolle Jean. Mon pays, c’est mon métier d’acteur. De me retrouver sur scène pour jouer Le Petit Prince me ramène à cette période d’arc-en-ciels. » Le comédien et poète, qui participera aux deux productions musicales avec l’OM, remarque que « c’est le bonheur de reprendre nos vies en main après tout ce qui s’est passé. Nous avons besoin de renouveau ».
Notons bien : renouveau et non réinvention, ce mot qui a fait débat lors du confinement — tout comme la question de la compréhension qu’ont les gouvernements de ce que sont réellement les arts vivants. « Je pense que les gouvernements en général ont toujours beaucoup à faire lorsqu’ils se retrouvent en face de l’art, dit Fayolle Jean. Ici, comme ailleurs, ils ont une compréhension politique des choses sans se rendre compte parfois que la culture, on en a besoin pour vivre. C’est la plus grande des évasions. »
Il y a cette belle phrase de Saint-Exupéry qui dit: “Je suis de mon enfance comme d’un pays”. Mon pays, c’est mon métier d’acteur. De me retrouver sur scène pour jouer "Le Petit Prince" me ramène à cette période d’arc-en-ciels.
Conception et conscience
Les mois qui viennent de s’écouler ont bien sûr été marqués par la pandémie, mais aussi par des mouvements de justice sociale, des dénonciations de violences sexuelles. « Nous n’avons pas nécessairement pensé la saison en fonction de tous ces mouvements — pour le respect de l’être humain, de la condition féminine et de la différence —, qui nous ont complètement bousculés, dit Lorraine Pintal. Mais il y a des œuvres qui véhiculent des valeurs universelles. L’avalée des avalés, par exemple, c’est l’affranchissement d’une adolescente qui ne veut pas entrer dans le monde des adultes. »
« C’est toute la question de “l’art doit-il être engagé ou l’art peut-il, à travers des œuvres existantes, donner une certaine conscience de l’actualité au spectateur ?” » ajoute-t-elle, avant de préciser que le TNM se situe davantage dans la seconde option. « J’aime qu’il y ait des thèmes qui sont comme la toile de fond d’une œuvre dans laquelle les gens retrouvent leur propre conception du monde. »
Durant cet « Automne du Nouveau Monde », l’institution présentera donc Zebrina, une pièce à conviction, de Glen Burger, un projet lancé par FrançoisGirard et interprété par Emmanuel Schwartz. Puis, Prélude à la nuit des rois, laboratoire de création inspiré par l’œuvre de Shakespeare et mené par Frédéric Bélanger. Et enfin, l’œuvre susmentionnée de Réjean Ducharme, mise en scène par la directrice artistique.
Notons que tous les spectacles seront diffusés en ligne, et en différé, pendant une période donnée. Pour les trois pièces, le forfait numérique est de 42 $. Pour le duo avec l’OM, de 30 $.
Un projet pour les étudiants, Ma fenêtre virtuelle sur le théâtre, a également été mis sur pied. « On plonge dans le vide ! s’exclame Lorraine Pintal. Inutile de dire qu’on va tenir nos statistiques rigoureusement pour savoir comment on rayonne, comment ça fonctionne. »
Des objectifs ont été dressés. « On est prudents. Si, avec Zebrina, on va chercher 800 personnes par soir, incluant les 160 spectateurs qui seront sur place, ce sera déjà une victoire. Pour les concerts avec l’OM et le TNM, on devrait en rejoindre 5000. En tout, si on rejoint 10 000 spectateurs, on pourra dire bravo ! Mais on ne sait pas comment les gens vont vivre le fait de payer pour le produit. »
Car la menace de la gratuité a souvent été soulevée pendant le confinement. Toutes ces prestations, ces films, cesalbums qui ont été « consommés » sans dépenser…
Mais un « Facebook Live » ne remplacera jamais l’expérience réelle. En ce sens, la directrice artistique estime que les recommandations faites au ministère de la Culture et des Communications par le Conseil québécois du théâtre, les pressions d’organisations comme le Groupe des Onze, dont le TNM fait partie, et la lettre d’Olivier Kemeid pour les arts vivants, qui a fait grand bruit, ont eu un effet important. « Mais ce que je n’aime pas, ce sont les délais », précise-t-elle.
Parmi les points qui restent en suspens : l’aide gouvernementale demandée pour reconnaître un pourcentage des contrats qui ont dû être annulés ce printemps. « Mon chapeau d’administratrice et de gestionnaire, je peux vous dire que pendant la pandémie, je l’ai coiffé souvent ! Il y a des moments où j’étais tellement loin du théâtre et de l’art que je pratique… Mais c’est fait. On a planté toutes les graines. Maintenant, il faut que les fruits poussent. »