Une lionne du théâtre s’éteint

Michelle Rossignol, qui joua Racine, Tchekhov et Claudel, défendit avec passion de nombreuses pièces du répertoire québécois, souvent dès leur création.
Photo: Jacques Grenier Le Devoir Michelle Rossignol, qui joua Racine, Tchekhov et Claudel, défendit avec passion de nombreuses pièces du répertoire québécois, souvent dès leur création.

On parle d’hécatombe chez les dames de la scène au Québec. Après Renée Claude et Monique Mercure, c’est la femme de théâtre Michelle Rossignol qui vient de tomber, à 80 ans, emportée par le cancer. Nouvelle perte immense venue ébranler nos planches et nos écrans.

À l’instar de Monique Mercure, Michelle Rossignol était une femme de forte personnalité qui défonçait les planches. Elle aura tout autant qu’elle puisé de grands rôles au répertoire de Michel Tremblay, jouant à la scène en 1971 l’insoumise Pierrette Guérin, une des percutantes Belles-sœurs. Michelle Rossignol avait été une immortelle Carmen, chanteuse western de fougue du Sainte Carmen de la Main de Tremblay, chez Jean-Duceppe en 1976, pièce adaptée pour la télévision par André Brassard quatre ans plus tard.

Les télé-théâtres de l’époque se souviennent de la comédienne. Michelle Rossignol était déjà remarquée en 1957 pour son charisme dans Un simple soldat, de Marcel Dubé. Sa crinière rousse, son tempérament énergique, sa voix rauque, sa soif de démesure ont marqué le théâtre, la télévision et le cinéma, qui n’ont pas oublié sa griffe de lionne.

L’apprentissage de cette Montréalaise avait été typique du temps, avec formation au cours des années 1950 autant à Montréal (à l’École du Théâtre du Nouveau Monde) qu’à Paris, auprès de Tania Balachova. Elle allait vite irradier partout, au théâtre et sur les écrans, à l’heure où le Québec se réinventait sous l’exaltation de comédiens libres de s’éclater à leur gré. Devenant par la suite une metteuse en scène de haut vol, qui dirigea le Théâtre d’Aujourd’hui de 1988 à 1998. Cette institution, la femme de feu l’avait fait sortir de son hangar sur Papineau pour le remettre au monde rue Saint-Denis, dans les vastes locaux actuels, avec tous les égards dus à son rang. Éprise de transmission, elle avait enseigné à l’École nationale de théâtre de 1971 à 1986. Une flopée d’honneurs, dont l’Ordre du Canada et l’Ordre national du Québec, auront marqué son parcours.

Le Québec et les femmes en majesté

 

Michelle Rossignol, qui joua Racine, Tchekhov et Claudel, défendit avec passion de nombreuses pièces du répertoire québécois, souvent dès leur création. Des Beaux dimanches, de Marcel Dubé, dans la peau d’une fille rebelle qui affronte ses parents (Janine Sutto et Jean Duceppe) à son rôle dans Les oranges sont vertes, de l’exploréen Claude Gauvreau, lancée au TNM sous la baguette de Jean-Pierre Ronfard en 1972. Son incarnation incandescente de madame Fryers, vieille comédienne généreuse dans Bob, de René-Daniel Dubois, mis en scène par René-Richard Cyr — sommet en 2008 du programme du 40e anniversaire du Théâtre d’Aujourd’hui —, elle en parlait comme d’un des plus grands rôles de sa carrière. En 2006 à l’Usine C puis en tournée, on l’avait vue participer au spectacle choral Tout comme elle sous la direction de Brigitte Haentjens, texte poétique de Louise Dupré.

L’interprète de la Véronique O’Neill des Dames de cœur, téléroman de Lise Payette, puis de sa suite, Un signe de feu, avait déjà porté de grands rôles au petit écran, et ce, dès les balbutiements de ce médium. Son personnage de Manouche dans Le Survenant, adapté en 1960 de l’œuvre de Germaine Guèvremont, lui avait valu un prix d’interprétation.

À la mise en scène, Michelle Rossignol fit sa marque de brillante façon, poussant beaucoup le théâtre au féminin, armée de ses convictions libertaires. La saga des poules mouillées, de Jovette Marchessault, au TNM en 1981 aura marqué les esprits. Sa création — et l’interprétation du rôle-titre — de La peau d’Élisa, de Carole Fréchette, au Théâtre d’Aujourd’hui en 1998, comme celle des Divines, de Denise Boucher, deux ans plus tôt, tout autant.

Michelle Rossignol s’imposa souvent au cinéma québécois. Elle avait joué le rôle de la femme affranchie aux côtés de Guy Sanche dans Poussière sur la ville, d’Arthur Lamothe, adapté du roman d’André Langevin en 1968. Les cinéphiles l’auront retrouvée parmi les 24 serveusesde Françoise Durocher, waitress, servi par le duo Tremblay-Brassard à l’écran en 1972. Tandem qui l’a remise en scène dans Il était une fois dans l’Est un an plus tard. Dans La quarantaine, d’Anne Claire-Poirier en 1982, abordant les retrouvailles de vieux amis, Michelle Rossignol donnait notamment la réplique à Monique Mercure, avec qui elle partagea très souvent l’affiche. Celle-ci l’a tout juste précédée dans la mort, au grand chagrin du milieu théâtral, bien malheureux ces jours-ci.

 

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