«Les enfants»: survivre à demain

Dans un futur proche, le monde se remet d’une catastrophe environnementale majeure, notamment liée à l’explosion d’une centrale nucléaire située en bord de mer. Adèle (Danielle Proulx) et Robin (Germain Houde) s’isolent dans un chalet pour fuir les effets de la radiation et attendre que la situation se stabilise. Lorsque Rose (Chantal Baril), une ancienne collègue qui a quitté le pays depuis 38 ans, fait irruption dans leur vie, la question de la fuite et des privilèges se pose de manière plus pressante que jamais.
Présentée pour une première fois en français à Montréal (après avoir été jouée au Centaur l’automne dernier en anglais), la pièce Les enfants de Lucy Kirkwood aborde des enjeux environnementaux (les dangers d’une catastrophe à venir resteront une source d’inspiration pour encore longtemps), mais sous un angle original, soit celui de la responsabilité des privilégiés.
Si Kirkwood s’inquiète d’une éventuelle fin du monde, c’est en réfléchissant aux responsabilités individuelles et collectives qu’engagent les catastrophes. S’inspirant des événements de Fukushima en 2011 (alors qu’un tremblement de terre a causé un tsunami dévastateur et l’explosion des réacteurs de la centrale nucléaire), elle court-circuite toute opposition aux discours catastrophistes que pourraient soulever les climatosceptiques en tout genre. La fin nous guette, ses effets se font déjà ressentir (que presque 10 ans se soient écoulés depuis Fukushima est terrifiant) et, nous dit Kirkwood, réagir demandera des sacrifices.
L’autrice met en question le point de vue des privilégiés : Robin et Adèle sont fortunés (anciens ingénieurs nucléaires, ayant travaillé beaucoup pour profiter de leur retraite) et capables de penser à la décroissance par choix plutôt que par nécessité, Rose voyage partout dans le monde et est prof d’université aux États-Unis depuis presque 40 ans… Sans chercher à pointer de coupables ou à opposer des générations entre elles (en ce sens, ne jamais montrer les enfants d’Adèle et de Robin est un choix judicieux), elle interroge les enjeux de legs et d’héritage collectifs laissés par une génération à une autre ; le questionnement éthique qui oppose responsabilité et culpabilité n’en est que plus fort.
Avec ses accents naturalistes, et même s’il repose sur une série de révélations chocs un peu cousues de fil blanc, le texte de Kirkwood confronte assez habilement nos idées reçues et la fracture sociale qui semble séparer deux générations.
Jeu sur deux plans
Marie-Hélène Gendreau place ses pions délicatement avec une mise en scène précise qui embrasse le penchant naturaliste du texte tout en se ménageant des espaces pour des séquences plus oniriques. Avec l’aide de ses conceptrices, Gendreau joue habilement sur les deux plans : des éclairages vaporeux de Julie Basse à la musique douce et enveloppante de Mykalle Bielinski en passant par la scénographie de Marie-Renée Bourget Harvey (faite de matériaux écoresponsables, en collaboration avec Écoscéno, pour que le théâtre Jean-Duceppe soit cohérent avec le message qu’il porte) qui supprime la frontière entre l’intérieur du chalet et la nature à l’extérieur, sans compter le jeu senti et investi des comédiens, tout est là pour capter l’attention et porter avec force les questions pressantes que pose Kirkwood.