Nathalie Doummar et Chloé Robichaud, mélanger les genres

Chloé Robichaud et Nathalie Doummar développent une relation professionnelle fructueuse depuis cinq ans. Le loup représente la troisième collaboration d’envergure entre les deux artistes : il y a d’abord eu Pays, en 2016, le deuxième long métrage de Chloé Robichaud dans lequel jouait Nathalie Doummar, puis Delphine, court métrage réalisé l’an dernier par la première et écrit par la seconde, adapté de son conte urbain Delphine de Ville Saint-Laurent.
La rencontre s’est faite naturellement, par affinité pour leurs univers respectifs, et leur collaboration n’est pas près de s’arrêter, à en croire les deux femmes. « Pendant le tournage de Pays en 2015, j’ai vu Nathalie à La Licorne quand elle présentait Delphine de Ville Saint-Laurent. J’avais vraiment aimé son univers et j’y avais tout de suite vu un court métrage. Elle avait le désir d’écrire pour le cinéma, ça s’est donc fait naturellement. Entre-temps, j’ai été intéressée de plus en plus par le théâtre », explique Robichaud. Nathalie Doummar renchérit (les deux complices le font fréquemment lorsque l’une parle de l’autre) : « Ça faisait un moment que Chloé me parlait de son désir de faire de la mise en scène au théâtre, c’était naturel qu’on finisse par s’y retrouver ! »
Elles poursuivent leur collaboration autour de ce premier texte écrit par Doummar dans le cadre de sa résidence d’autrice chez Duceppe. Le loup, courte pièce en un acte, raconte l’histoire d’un homme qui, sentant la maladie d’Alzheimer gagner du terrain, décide de faire le point sur sa vie, notamment avec sa compagne des 30 dernières années. La pièce aborde des thèmes comme le déclin, le poids du passé et ses effets sur un couple qui, vu de l’extérieur, n’a pas toujours l’air de bien aller ensemble. « Au départ, la pièce s’appelait Épiphanie, parce qu’elle met en scène un personnage qui veut se repentir de ses erreurs du passé avant d’oublier. On se rend compte qu’il n’a pas toujours été gentil avec sa femme », explique Doummar.
Le texte joue dans des zones d’ombre, ce qui n’est pas pour déplaire à Chloé Robichaud : « Avec Le loup, on a tout de suite l’image du prédateur, mais dans le texte, chaque fois qu’elle est tendre avec lui, elle l’appelle “mon loup”. Ce croisement entre la prédation et la tendresse, mais aussi entre le drame et la comédie, est très stimulant pour moi. »
En attendant la pièce qu’elle prépare pour le grand plateau, Nathalie Doummar retrouve une formule qui lui convient, celle des 5 à 7 (inspirée du concept écossais « A Pie, A Play and A Pint »), et qu’elle connaît (L’amour est un dumpling, texte coécrit avec Mathieu Quesnel, avait été présenté sous cette formule à La Licorne). Pour elle, c’est l’occasion de « regarder à la loupe une situation ou des personnages. Ils sont loin de moi, mais on dirait que j’ai plus d’empathie pour eux que pour Sissi ou Coco [les protagonistes des pièces du même nom]. Leur dynamique est dure et j’essaie de comprendre comment des gens peuvent rester ensemble malgré les erreurs, dans une dynamique pas toujours saine, mais qui est plus forte qu’eux ».
Le loup est aussi la première expérience de mise en scène complète de Chloé Robichaud (après avoir contribué à une partie du spectacle collectif À te regarder, ils s’habitueront en 2017). Tournée vers le théâtre, la metteuse en scène trouve progressivement ses repères et aborde la scène en profitant de la liberté offerte par la formule plus intime du 5 à 7. « On a choisi de ne pas aller dans le dénuement et de ne pas miser sur l’interaction avec la salle. Il n’y a pas de vidéo, on ne filme pas, mais comme on ne peut pas tout à fait sortir le cinéma de la fille, avec le scénographe [Bruno Pierre Houle, qui avait également fait les images sur Sarah préfère la course],on en est venus à concevoir un décor sur le long, comme un écran de cinéma. C’est comme si on traversait la pellicule sur la scène. Je trouvais que ça allait bien avec l’idée de la mémoire. »
Les deux artistes ont l’habitude de travailler sur des univers plus près d’elles, avec des personnages de leur génération, qui ont besoin d’assumer qui ils sont à l’aube de la trentaine pour trouver leur place dans le monde. Comment expliquer, alors, qu’elles se sentent interpellées par ce projet qui porte sur des personnages arrivés à la fin de leur vie, dans un rapport complètement différent de ce qu’elles créent d’habitude ?
Nathalie Doummar explique qu’elle n’a pas eu à plonger loin d’elle pour trouver l’idée du texte. « Dans les dernières années, j’ai vu beaucoup de gens autour de moi, notamment de la famille, être malades et mourir. Quand des gens arrivent à la fin de leur vie et n’ont pas eu des vies très faciles, c’est confrontant pour eux, mais aussi pour les autres. Je me suis posé des questions : à quel point veut-on vraiment savoir si on a fait du bon ou pas à la fin de notre vie ? Si tu vis tes derniers jours, est-ce qu’avoir un tableau de toutes tes erreurs passées t’aide à être en paix avec toi-même ? »
Même son de cloche chez Chloé Robichaud, encore une fois, pour qui ce questionnement est arrivé récemment. « Je ne suis pas vieille, mais on dirait que la trentaine a créé ça : je me demande si le jour où je vais mourir, je vais être contente de moi. C’est nouveau comme enjeu et ce texte-là incarne bien cette question. Nathalie a un talent pour parler d’enjeux contemporains tout en subtilité, il y a beaucoup de richesse, de nuances et de complexité dans ces deux personnages-là. »