«Le malade imaginaire»: la maladie de la peur

L’allure des personnages provoque souvent la drôlerie en elle-même.
Photo: Jean-François Hamelin L’allure des personnages provoque souvent la drôlerie en elle-même.

La science a grandement progressé depuis la diatribe de Molière contre l’ignorance des médecins dans Le malade imaginaire. Mais l’angoisse viscérale des humains devant la mort et l’expression parfois irrationnelle de leurs peurs, elles, n’ont guère évolué — voire les dérives créées par l’épidémie actuelle…

Cinq ans après son intéressant Misanthrope au Rideau vert, Michel Monty récidive donc avec un classique revisité où il dit vouloir honorer l’esprit iconoclaste de Molière. Et avec cette version raccourcie (amputée notamment du personnage de la cadette) mais grossie du célèbre récit où un hypocondriaque totalement aveuglé est la dupe — entre autres — du charlatanisme des disciples d’Hippocrate, le metteur en scène fait en effet flèche de tout bois. Dans une esthétique qui mélange allègrement les époques et les styles, il tire un profit comique des plus petits rôles, ménage un intermède musical à la sauce québécoise, traite, dans une scène, l’arrivée du grand docteur (Didier Lucien) à la manière d’un film d’horreur et dans une autre, recourt même à l’autoréférentiel, à la mise en abyme. Bref, le spectacle ne manque pas d’inventivité, mais plutôt d’unité : l’ensemble finit par donner l’impression d’une succession de numéros humoristiques.

Les costumes dessinés par Marc Senécal volent souvent la vedette. Sauf pour la sobriété du raisonnable Béralde, ils rivalisent de flamboyance, mêlant touches contemporaines et d’époque. L’allure des personnages provoque souvent la drôlerie en elle-même. Évoquant un peu le steampunk en père et fils Diafoirus, Patrice Coquereau (à la mine inquiétante) et Frédérick Tremblay, parfait, campent une paire impayable. Mais de toutes les compositions déjantées qu’offre cette production, la palme revient à la belle-mère artificieuse de l’étonnante Émilie Lajoie. Son maniement décalé du verbe moliéresque avec l’accent joual se révèle irrésistible.

Par contre, les manigances de Toinette, généralement l’un des socles comiques de la pièce, amusent assez peu. Faut-il l’attribuer au trop-plein du spectacle ou au jeu un peu trop tonitruant de Violette Chauveau, qui paraît manquer de la rouerie associée à la soubrette ?

Et au milieu de tout ce carnaval, le protagoniste lui-même semble parfois passer un peu à l’arrière-plan, même si Luc Guérin en offre une solide interprétation, très physique. Rappelons que Le malade imaginaire est l’ultime pièce de Molière, une comédie installée sous l’ombre de la mort — que ses personnages feignent d’ailleurs à quelques reprises (la troisième a été coupée ici).

Plus sombres et sobres, centrés sur un Argan seul, l’ouverture et l’épilogue du spectacle semblent expliquer le caractère baroque, éclaté, la théâtralité débridée de la représentation. Comme si c’était là (c’est du moins mon interprétation) le produit délirant de l’anxiété d’Argan. Mais ce n’est pas cette couleur de l’angoisse qui domine l’extravagant spectacle.

Le malade imaginaire

Texte : Molière. Mise en scène : Michel Monty. Avec Anne-Marie Binette, Violette Chauveau, Patrice Coquereau, Luc Guérin, Émilie Lajoie, Didier Lucien, Benoit Mauffette, Maxime Mompérousse et Frédérick Tremblay. Au Théâtre du Rideau vert, jusqu’au 29 février.

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