La nouvelle pièce de Dany Boudreault, un sujet nommé désir

À l’encontre d’une sexualité souvent réduite à sa dimension génitale, Dany Boudreault cherche plutôt la communion entre corps et âme. «Je suis un mystique, je pense. Je ne suis pas du tout religieux, mais j’ai une très grande soif de sacré.»
Photo: Valérian Mazataud Le Devoir À l’encontre d’une sexualité souvent réduite à sa dimension génitale, Dany Boudreault cherche plutôt la communion entre corps et âme. «Je suis un mystique, je pense. Je ne suis pas du tout religieux, mais j’ai une très grande soif de sacré.»

Avec sa première pièce solo depuis (e), en 2013, Dany Boudreault passe des petites salles à la scène principale du Théâtre d’Aujourd’hui. Longuement mûri — le texte en est à sa 33e version ! —, mis au monde par Édith Patenaude avec une belle distribution, Corps célestes marque une maturation dans son écriture. « Je passe à un état adulte, comme auteur, estime le créateur de 36 ans. Dans ce texte, il y a une affirmation. Esthétique, aussi : je comprends mieux ce qui me plaît comme théâtre. »

Une étape qui ne signifie pas pour autant « la fin de l’acteur », s’empresse d’ajouter Boudreault, pour qui d’autres « beaux rôles » sont à l’horizon. « J’ai toujours été hybride. Et c’est compliqué, entretenir cette hybridité. Les gens veulent beaucoup que tu fasses une chose dans la vie. Moi, j’écris et je joue, comme Robert Lalonde, comme Evelyne de la Chenelière, qui sont des modèles pour moi. Et je ne suis pas un comédien qui écrit par hobby. Je le fais tous les jours. Mais je ne pourrai jamais arrêter de jouer. Je suis un acteur, fondamentalement. Et tout le rapport au corps que j’ai sur scène, il sort dans mes textes. »

Ses rôles ont d’ailleurs nourri sa pièce, une réflexion autour du désir et de la morale. « Corps célestes est plein de tout ce que j’ai joué, étrangement. Que ce soit Un tramway nommé Désir, où j’interprétais Tennessee Williams à GO ; tout le rapport au corps dans Faire des enfants au Quat’Sous. Et même Parce que la nuit, où j’ai fouillé Robert Mapplethorpe, ou le personnage que j’incarnais dans Le déclin de l’empire américain… J’ai souvent eu à me positionner, comme acteur, sur ces sujets-là. »

Après (e), qui traitait d’identité sexuelle, l’auteur poursuit donc son questionnement sur la sexualité, le corps. « On ne choisit pas. Mais je me rends compte que c’est ce qui m’anime. Je pense qu’on est mûrs pour une énorme révolution du désir, du corps. Et pour essayer de souder le corps et l’esprit, que notre civilisation a séparés. J’ai choisi de parler de pornographie dans Corps célestes parce que ça pose un problème moral. J’essaie, moi, de me libérer d’un fantôme judéo-chrétien très présent au Québec. Une grande culpabilité, une honte. Je pense que la honte, c’est vraiment ce qui me fait écrire, en fait. » (rires)

Et si tous les fantasmes peuvent s’exprimer sur Internet, il s’agit plutôt d’une libération du consommateur, selon le dramaturge. « On parle de la sexualité dans un rapport de consommation. Et on n’en parle tellement pas dans le débat public que l’entreprise privée l’a récupérée et joue avec nos pulsions. Et ça, c’est dégueulasse. »

À l’encontre d’une sexualité souvent réduite à sa dimension génitale, Dany Boudreault cherche plutôt la communion entre corps et âme. « Je suis un mystique, je pense, dit-il en riant. Je ne suis pas du tout religieux, mais j’ai une très grande soif de sacré. Et je pense que par le corps, on peut arriver à s’élever. La révolution va arriver par le corps, allié à la technologie » Il cite le philosophe trans Paul B. Preciado.

Dans Corps célestes, « pièce sur la sexualité, mais sans sexualité », dépourvue d’illustration graphique, l’érotisme passe d’abord à travers la « chair des mots ». Et le dramaturge aspire moins à être un miroir du réel qu’à trouver sa langue. « J’essaie de construire une langue qui crée un corset, une torsion dans le corps des acteurs. Alors, le souffle est long ; il y a des négations, des mots qu’on n’utiliserait pas normalement, mais dans une poésie brutale et simple. »

Une révélatrice

 

Réalisatrice de films pornographiques, Lili (Julie Le Breton) revient dans sa famille, au sein d’une maison isolée dans la forêt, après quinze ans d’absence. La tension couve avec sa sœur (Évelyne Rompré), une femme dotée d’« une grande résistance au plaisir » qui vit avec son ancien amant. À l’image du film Théorème de Pasolini, Lili « devient un lieu de projections qu’elle ne contrôle pas, explique l’auteur. Elle déclenche en chacun des personnages quelque chose de viscéral. » Elle va aussi devoir tuer sa famille, ou plutôt « l’idée qu’elle s’en fait », afin de s’autodéterminer.

Dany Boudreault, qui considère que le théâtre offre trop souvent des modèles de sexualité féminine « frustres, frigides ou liés au dégoût », désirait une protagoniste à la libido épanouie, pour qui le sexe est un instrument d’élévation. Mais Lili est confrontée aux questions frontales, dangereuses de son neveu, Isaac, un adolescent dont la curiosité dépasse ses parents. Qui transmet le savoir sexuel ? « On n’a pas beaucoup de modèles parce qu’on n’en parle pas, il n’y a pas de mots. »

À travers les réponses décomplexées de la tante, Corps célestes offre une réflexion sur la morale. Où tracer la limite ? Pour Boudreault, qui enseigne, Isaac représente une génération à la fois très allumée et habitée par « une anxiété, un manque. C’est dur d’apprendre à être un adulte, aujourd’hui, je trouve ».

Ajoutons que le récit est campé dans un contexte anticipatif, une guerre dans l’Arctique autour de ses immenses ressources en hydrocarbures. Une situation qui inquiète l’artiste. « L’Arctique fond et on va avoir un gros problème au Canada. Le pays a une frontière que la Russie, les États-Unis et le Danemark se disputent au nord. » Pour l’auteur, ce conflit sert de métaphore à la guerre entre le corps et l’esprit, et aussi de symbole pour « la frontière floue de la morale. Ce texte est une espèce de danse sur la frontière, en fait ».

Cette vision catastrophique, Dany Boudreault la qualifie plutôt de lucide. « Je crois qu’on ne vivra plus jamais comme nos parents ont vécu. Tout le monde s’en lave les mains, mais la génération de demain va avoir à gérer ça. Dans Corps célestes, je parle de réfugiés qui viennent du nord. Il y aura une crise migratoire évidente. En tout cas, le vivre-ensemble et la [cohabitation] de nos corps devront changer… »

Corps célestes

Texte : Dany Boudreault. Mise en scène : Édith Patenaude. Avec Brett Donahue, Gabriel Favreau, Louise Laprade, Julie Le Breton, Évelyne Rompré. Une création du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui et de La Messe Basse. Au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, du 21 janvier au 15 février.

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