«Une belle soirée»: l’humour de Simon Gouache, de l’art ou pas?

Au coeur d’un écosystème où la persona d’un humoriste doit idéalement pouvoir tenir en une phrase (Rosalie Vaillancourt est la petite peste aux airs angéliques, François Bellefeuille a longtemps été l’hurluberlu aux cheveux ébouriffés), Simon Gouache risque, à première vue, de se fondre dans le décor. Et pourtant, en préconisant un travail d’orfèvre sur le texte et la livraison, celui que révélait en 2017 un monologue sur les excès du Crossfit arrive à se distinguer, et avec une maestria qui épate.
Des jeunes hommes blancs dans la trentaine sur la scène comique québécoise ? Il y en a un, puis un autre, puis un autre (puis un autre). Une belle soirée, le deuxième spectacle de Simon Gouache, présenté en première mardi soir au MTelus, a aussi, sur papier, tout ce qu’il faut pour n’être qu’une soirée très moyenne. Des numéros sur l’imposture des imitations végétariennes de produits carnés, sur la confusion que génère la technologie chez un parent vieillissant ou sur les vicissitudes de la trentaine : vous en entendrez chaque soir dans la soirée d’humour qu’organise le bar louche au coin de votre rue.
Comment Gouache tire-t-il son épingle du jeu ? En soutirant à ces sujets ce qu’ils ont de plus rassembleur et de plus fructueux. C’est grâce à ce souci du détail, et à cet investissement sans compromis, que Gouache est arrivé, sans grande machine derrière lui, à imposer son premier spectacle, dont le succès (plus de 50 000 billets vendus) aura pris tout le monde par surprise, son créateur y compris.
Sur le plan musical : s’il était un guitariste rock, Simon Gouache serait un de ces virtuoses au goût irréprochable qui maîtrisent parfaitement leurs effets, sachant toujours quand mettre toute la gomme et quand user de retenue. Gouache est un traditionaliste qui ne s’en remet à aucune de ses béquilles comiques (très usitées depuis quelques années) que sont la vidéo, le commentaire méta sur la construction d’une blague ou la confidence abusivement intime. Se contenter des outils classiques du stand-up exige de parfaitement les maîtriser, une qualité que Gouache peut fièrement revendiquer.
Ses deux principaux atouts ? Un sens du bon mot placé au bon endroit et une habileté à encapsuler physiquement, dans une série de gesticulations, l’essence d’une observation. Sa façon d’incarner un gars ordinaire, sans se présenter en gros demeuré comme plusieurs de ses collègues, témoigne aussi d’une grande adresse.
Seul un passage sur l’accent de sa blonde saguenéenne jure, par son insensibilité, avec l’ensemble (sans compter que le récent spectacle de Fabien Cloutier comportait également un passage portant sur cet instant précis où accent prononcé et gémissements se conjuguent).
Bourru mais pas misanthrope, Simon Gouache n’est jamais aussi drôle que lorsqu’il devient la propre victime de ses railleries. L’humour est-il un art ? demande-t-il en amorçant le récit d’un remue-méninges créatif réunissant une ribambelle d’esprits libres dans un chalet. Tous les stéréotypes y passent (le poète pauvre, le danseur trop investi), au point où l’on craint un instant que l’humoriste ait accepté un poste de chroniqueur sur les ondes d’une radio-poubelle.
Soulagement : c’est pour mieux se moquer de l’absurdité de son propre métier qu’il peint ce portrait. C’est lui du nono, dans son coin, incapable de se mêler à cette jam session. Un humoriste ne peut en être véritablement un sans un public, sous-entend ici Gouache. Si l’humour compte certainement une grande part d’imagination et de création, il suppose toujours, contrairement à d’autres formes d’art, une sorte de séduction. Autrement dit : il ne peut réellement exister que dans la réciprocité.
En déballant en conclusion une nomenclature des types de flatulences humides qui peuvent surprendre un homme dont le corps engage son déclin, Simon Gouache met tout en place afin de prouver que l’humour n’est pas un art, mais permettons-nous de le contredire : il y a une noblesse dans la blague scatologique lorsqu’elle permet de mettre en lumière notre commune fragilité.