«L’homme de la Mancha»: une accessible étoile

Dans la scénographie enveloppante de Réal Benoît, le spectacle mise lui-même sur le pouvoir de la transformation théâtrale, entrelaçant niveaux de fiction, récit et chansons, registres comique et dramatique.
Photo: David Ospina Dans la scénographie enveloppante de Réal Benoît, le spectacle mise lui-même sur le pouvoir de la transformation théâtrale, entrelaçant niveaux de fiction, récit et chansons, registres comique et dramatique.

Les années se sont déposées avec bienveillance sur cette production, créée par René Richard Cyr au Centre culturel de Joliette en 2002 et présentée 150 fois jusqu’en 2009. On a beau se dire que la reprise de cette valeur sûre ne relève pas d’un choix de programmation particulièrement audacieux au Théâtre du Rideau Vert, difficile de s’en plaindre. En matière de théâtre musical, cet Homme de la Mancha est un petit bijou.

Mise au monde en 1965 à Broadway, puis adaptée très harmonieusement par Jacques Brel trois ans plus tard, la pièce est portée par la force de sa thématique, puisée dans Don Quichotte. Elle en reprend le classique récit à travers une efficace mise en abyme. Mis en accusation par l’Inquisition espagnole, Miguel de Cervantes doit, en attendant sa sentence, subir un procès par ses féroces compagnons de cachot. Pour se défendre, le poète utilise son don. Son histoire, qui met à contribution les autres prisonniers, expose la capacité de transcender la sombre réalité par la puissance de l’imagination. Et la foi en un idéal.

L’œuvre joue sur donc trois niveaux : le réel sinistre de la geôle, le récit de Cervantes dans lequel un gentilhomme inquiète son entourage par ses illusions, et cette vision fantasmée où le vieil illuminé devient Don Quichotte, justicier épique, pourfendeur d’ogres… Mais ce rêveur capable de voir une dentelle dans un chiffon sale, de faire une dame d’une prostituée enguenillée est-il fou ? À force d’insister sur la noblesse de celle-ci, l’idéaliste éveille chez cette malheureuse un réel désir de dignité, une aspiration à mieux que son existence glauque. La force de sa conviction inspire un véritable espoir.

Dans la scénographie enveloppante de Réal Benoît, le spectacle mise lui-même sur le pouvoir de la transformation théâtrale, où un jouet devient un moulin à vent. La production menée tambour battant par René Richard Cyr unit avec une belle cohésion cet entrelacement entre niveaux de fiction, entre récit et chansons, entre registres comique et dramatique. Les arrangements du directeur musical Chris Barillaro sont aussi un plaisir pour l’oreille.

Cette nouvelle mouture reprend à une exception près la distribution originelle. C’est manifeste dans l’homogénéité déployée par la troupe (entre autres les Stéphane Brulotte, Roger La Rue, Michelle Labonté, expressifs dans plusieurs rôles). Le spectacle prouve que Cyr a eu raison de réembaucher ses têtes d’affiche et de leur donner l’occasion d’approfondir leur rôle. En indéfectible Sancho, Sylvain Scott impose une composition candide, savoureuse et attachante. D’une sobriété poignante et d’une parfaite justesse vocale, la Dulcinea d’Éveline Gélinas illumine le spectacle et tord le cœur.

Doté d’une belle voix et d’une stature scénique, Jean Maheux avait vécu une rencontre mémorable avec le double rôle de L’homme de la Mancha. Le comédien commande toujours la scène en Cervantes, sorte de metteur en scène du théâtre dans le théâtre. Mais c’est comme si le temps avait apporté une vulnérabilité touchante qui sert son incarnation de Don Quichotte. D’un fragile vieil homme élevé par une fabuleuse capacité à rêver la vie.

L’homme de la Mancha

Livret : Dale Wasserman. Musique : Mitch Leigh. Paroles : Joe Darion. Adaptation française : Jacques Brel. Mise en scène : René Richard Cyr. Jusqu’au 9 novembre, au Théâtre du Rideau Vert.

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