Croire à l’impossible

Après avoir réfléchi quelques jours, le comédien a accepté la chance qui lui était offerte de se glisser à nouveau dans l’un de ses plus grands rôles.
Photo: Valérian Mazataud Le Devoir Après avoir réfléchi quelques jours, le comédien a accepté la chance qui lui était offerte de se glisser à nouveau dans l’un de ses plus grands rôles.

Jean Maheux retrouve ces jours-ci les artistes avec qui il créa L’homme de la Mancha, sous la houlette de René Richard Cyr, il y a 16 ans. Après la reprise au Centre culturel de Joliette, en 2009, c’est-à-dire après quelque 175 représentations du spectacle, le comédien-chanteur avoue qu’il n’espérait plus sérieusement revêtir l’armure, coiffer le casque et brandir l’épée de Don Quichotte. « Pour moi, cette aventure extraordinaire était terminée », explique-t-il dans la salle de répétition toute neuve du théâtre du Rideau Vert, rue Gilford.

Après avoir réfléchi quelques jours, le comédien a accepté la chance qui lui était offerte de se glisser à nouveau dans l’un de ses plus grands rôles : « J’ai eu envie d’en apprendre plus sur moi en retrouvant ce personnage exigeant. Je voulais mesurer le chemin que j’avais parcouru depuis que je l’avais quitté. Et puis, je savais que j’allais renouer avec une sacrée belle gang ! » Tandis que Stéphane Brulotte, Stéphan Côté, Éveline Gélinas, Michelle Labonté, Roger La Rue, Sylvain Massé et Sylvain Scott reprendront leurs rôles, c’est Joëlle Bourdon qui tiendra celui d’Antonia, autrefois défendu par Catherine Vidal.

Au cours des dix dernières années, Maheux n’a jamais vraiment cessé de vivre avec le personnage de Don Quichotte. « Pas une semaine ne passe sans que quelqu’un me parle du spectacle et me demande si une reprise est prévue », explique-t-il. Puis il ajoute avec humilité : « Je pense que c’est à cause de la vision de René Richard. À mon avis, ses choix sont en parfaite adéquation avec le sens profond de l’œuvre. Si je suis bon — à tout le moins, c’est ce qu’on me dit —, c’est parce que je suis porté par la grande cohésion de la mise en scène. »

Rêver un impossible rêve

 

Inspirée à Dale Wasserman (livret), Joe Darion (paroles) et Mitch Leigh (musique) par L’ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche, le roman de Miguel de Cervantes publié en Espagne au début du XVIIe siècle, la comédie musicale a été créée à Broadway en 1965. Depuis, traduite dans plusieurs langues, l’œuvre a connu un extraordinaire rayonnement international. À partir du bon vieux principe du théâtre dans le théâtre, mais également de celui tout aussi éprouvé de la mise en procès d’un homme et de ses idéaux, le récit entremêle en un vibrant plaidoyer la vérité et le mensonge, les certitudes et les chimères, l’histoire et l’imagination, la créativité et l’adversité, en somme la vie de l’écrivain et celle de son personnage, lui-même entraîné dans une rocambolesque fiction qu’il tient pour la réalité.

« C’est une œuvre qui prend superbement le relais du roman, estime Maheux, mais qui fait aussi ingénieusement écho à la vie pas banale de Cervantes, un homme qui servit pendant quinze ans comme mercenaire dans l’armée espagnole, perdit l’usage de la main gauche et fut emprisonné pendant cinq ans à Alger ! » À propos de l’adaptation de Jacques Brel, présentée en 1968 à Bruxelles, puis à Paris, le comédien ne tarit pas d’éloges : « Sa traduction est formidable. Il a su s’approprier le discours et la musique. Ce n’est pas étonnant que beaucoup de gens pensent que Brel est l’auteur de ces chansons : elles sonnent à merveille. Les accents toniques sont toujours au bon endroit. Les phrasés correspondent parfaitement au rythme de la langue française. À vrai dire, ça coule de source, il ne reste plus qu’à s’abandonner à la musique. »

J’ai eu envie d’en apprendre plus sur moi en retrouvant ce personnage exigeant. Je voulais mesurer le chemin que j’avais parcouru depuis que je l’avais quitté. Et puis, je savais que j’allais renouer avec une sacrée belle gang !

Bien qu’il ait tenu depuis sa sortie de l’École nationale de théâtre, en 1983, de multiples rôles chantés — dans Napoléon, Gala, Demain matin, Montréal m’attend, Antoine et Cléopâtre, Une vie presque normale et La bonne âme du Se-Tchouan, sans oublier plusieurs des créations opératiques de la compagnie Chants libres —, Jean Maheux n’est pas prêt à dire qu’il est un inconditionnel de la rencontre entre théâtre et musique : « À mon sens, le mariage entre les deux représente chaque fois un immense défi. Je suis loin d’embrasser le genre du théâtre musical dans son ensemble et de manière absolue. C’est bien simple, ce que je veux, dans ma carrière, c’est chanter et jouer. Si les deux arrivent ensemble, tant mieux. Si ce n’est pas le cas, je ne suis pas malheureux pour autant. »

Le comédien précise que les œuvres aussi bien ficelées que L’homme de la Mancha ne sont pas courantes : « C’est unique pour des raisons formelles, bien entendu, mais également à cause du propos. Chaque fois que j’incarne ce rôle, je dois donner à entendre la nécessité de croire à l’impossible. Je vous le dis, c’est un véritable honneur de défendre ça. »

Nelligan, mais aussi Villon et Brecht

En janvier, on verra Jean Maheux dans Nelligan, l’opéra de Michel Tremblay et d’André Gagnon mis en scène au TNM par Normand Chouinard. Il incarnera le père Eugène Seers, mentor du jeune poète. Mais auparavant, en décembre, le comédien, qui reconnaît que les dernières années ont été « plus tranquilles », procédera au Quat’Sous à la « lecture » d’un spectacle de son cru, Jean à François à Bertolt, un deuxième après Pas de silence, présenté en 2008 et 2009 : « C’est l’accalmie professionnelle qui m’a poussé à écrire. J’ai élaboré avec Normand Forget et Francis Perron, au hautbois et au piano, un parcours qui est à la fois contemporain et québécois tout en s’articulant autour de L’opéra de quat’sous de Brecht et des poèmes de Villon. J’ai ajouté à ça mes chansons et mes vers, c’est donc un peu autobiographique, mais pas seulement. Le 15 décembre, c’est une étape de création, une manière d’obtenir une réponse du public. »

L’homme de la Mancha

Livret : Dale Wasserman. Musique : Mitch Leigh. Paroles : Joe Darion. Adaptation française : Jacques Brel. Mise en scène : René Richard Cyr. Au théâtre du Rideau Vert du 24 septembre au 11 novembre.



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