
«Cuckoo» au FTA: une société sous pression

Les vedettes de Cuckoo sont déjà sur scène, lorsque le public prend place à la Cinquième Salle. Trois rutilants cuiseurs de riz automatiques d’une marque sud-coréenne apparemment incontournable. Mais seule la « réservée » Hana est un véritable autocuiseur. Les deux autres objets, manifestement modifiés pour le spectacle, se révèlent des partenaires scéniques à part entière, capables de chanter, de se livrer entre eux à un échange philosophique sur le bonheur ou à un désopilant match d’insultes. Surtout, ces appareils de cuisson servent une ingénieuse métaphore : ils sont l’incarnation d’une « société sous pression ».
La présence de ces objets souligne aussi l’attachement qu’on peut ressentir pour ces appareils technologiques qui emplissent désormais nos vies — et qui comblent une certaine solitude lorsqu’ils sont doués de parole. Jaha Koo met en cause « l’isolement sans aide » que vivent tant de ses compatriotes. Après une mise en contexte, un montage rythmé d’images-chocs puisées dans l’actualité des dernières décennies de la Corée du Sud (manifestations collectives, affrontements contre la police, scènes de suicide, même), c’est à travers sa propre vie qu’il illustre les maux de son pays natal. Avec une pudique sobriété, l’artiste exilé à Amsterdam évoque la mort de six de ses amis intimes, un en particulier qui a sauté d’un balcon. Des victimes d’une « génération sans avenir ».
Le créateur de 34 ans y parle des ravages d’un modèle néolibéral poussant à la performance. Il pointe aussi un doigt accusateur vers un ancien secrétaire d’État américain, qui aurait fait pression sur le FMI pour infliger à son pays des conditions ayant causé une sévère crise économique. Raconté avec toute la tension d’un compte à rebours, le malheureux sort réservé à un réparateur de portes anti-suicide du métro y devient le symbole particulièrement glaçant du désespoir national.
En une heure à peine, une brièveté qu’on déplore presque, Cuckoo fusionne, avec une grande cohérence thématique, cinglante critique politique, poignant drame humain et humour cocasse. La performance allie la simplicité de la narration à l’ingéniosité de la technologie. Bref, c’est en plein pour découvrir ce genre d’objet unique, à la fois singulier et pertinent dans sa résonance avec notre monde, qu’on fréquente le festival.