«Fantasia» au FTA: pouvoir de suggestion

Ceux qui parviendront à entrer dans le jeu, à goûter chaque nuance, à jouir du moindre détail, pourraient bien passer une heure délectable en compagnie d’Agata, Dobromir, Rafal, Maria, Zofia et Adam.
Photo: Magda Hueckel Ceux qui parviendront à entrer dans le jeu, à goûter chaque nuance, à jouir du moindre détail, pourraient bien passer une heure délectable en compagnie d’Agata, Dobromir, Rafal, Maria, Zofia et Adam.

Anna Karasińska, figure montante du théâtre polonais, prend part au Festival TransAmériques pour la première fois avec Fantasia. D’un minimalisme pour le moins désarmant, l’objet scénique créé à Varsovie en 2017 risque de laisser quelques spectateurs (pourtant intrépides) dans son sillage. Ceux qui parviendront à entrer dans le jeu, à goûter chaque nuance, à jouir du moindre détail, pourraient bien passer une heure délectable en compagnie d’Agata, Dobromir, Rafał, Maria, Zofia et Adam.

Sur un plateau vide, six comédiens répondent aux consignes que la metteuse en scène fournit en direct depuis le fond de la salle. D’abord simples, puis de plus en plus complexes, les directives données en polonais (rassurez-vous, il y a des surtitres français et anglais) déclenchent des improvisations instantanées, des tableaux aigres-doux, le plus souvent muets. S’exécutant en toute sobriété, sans une once de cabotinage, les interprètes incarnent des êtres et des états, campent des relations et des situations. Ils tiennent des rôles faussement banals dans les histoires que Karasińska invente, des récits qui finissent habilement par se répondre, s’éclairer.

Alors que les consignes sont immuables, ce ne sont jamais les mêmes comédiens qui ont la tâche de les réaliser. Chaque soir, la metteuse en scène s’amuse à changer les rôles. Tout en s’apparentant à un exercice de style, à un laboratoire ou à une expérimentation, la démarche ne se limite pas à ça. Au fil de la représentation, notre regard s’attache au mouvement d’une main, d’un œil, d’un pied ou d’une bouche. Alors que les motifs se répètent, que les antagonismes se développent, qu’un bagage de références se constitue, en somme, qu’un langage commun s’édifie entre la scène et la salle, on goûte au pouvoir immense de la suggestion, un ressort éminemment théâtral, certes, mais qui est ici employé de façon admirablement radicale.

Ainsi, ce qui prime, dans ce spectacle qu’on serait tenté de qualifier de philosophique, ce n’est pas tant ce que les comédiens font, les expressions qu’ils adoptent ou les postures qu’ils prennent. Ce qui importe, surtout, c’est ce que nous projetons sur leurs actions et leurs interactions, ce qu’elles évoquent, ce que nous reconnaissons de nous-mêmes dans leurs faits et gestes, en somme, notre manière de capter, vraiment, les signaux qu’ils émettent. Apparaissent alors dans notre théâtre mental, ou à tout le moins dans celui de votre humble serviteur, des pans entiers de la vie en société, des cœurs errants et des âmes en peine, de la cruauté et de la bienveillance, du désarroi et de l’espérance. Allez savoir ce que cette aventure pas banale pourrait bien faire naître en vous.

Fantasia

Mise en scène : Anna Karasińska. Une production de TR Warszawa. Présentée au Théâtre Centaur, à l’occasion du Festival TransAmériques, jusqu’au 26 mai. En polonais avec surtitres français et anglais.

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